Ouin ouin bourgeois

Critique | Sentimental Value de Joachim Trier | Compétition (SO)

Fort du succès de Julie en 12 chapitres, Joachim reprend la même, Renate Reinsve, dont il a fait une immense star (!!), ajoute Stellan Skarsgård et Elle Fanning au casting, mais recommence la même daube locale. Cela commence par une maison rouge, comme un gigantesque manoir vu de l’extérieur, pas gêné d’exister au milieu de la ville grouillante. La mère vient de mourir – étrange, personne ne pleure pour elle ni ne se souvient de ses plus belles réussites. Nora (Renate Reinsve) et Agnes (Inga Ibsdotter Lilleaas) se rendent compte que la maison familiale appartient en réalité au père (Stellan Skarsgård), cinéaste vieillissant et mal aimable. Un jour, il propose à Nora, qui est actrice au théâtre, de jouer dans son prochain film, le meilleur qu’il ait écrit ; elle seule peut jouer le rôle, il l’a écrit pour elle. Sentimental Value aurait pu devenir complexe : lui propose-t-il par sincérité ou pour lever des fonds sur son nom ? Lorsqu’il fait appel à Elle Fanning, une jeune star de cinéma, le fait-il par dépit ou bien pour provoquer chez Nora de la jalousie ? Le potentiel manipulateur du père n’est exploré que le temps d’une blague filmée, où il fait croire à Elle Fanning, en même temps qu’au spectateur, que le suicide de sa mère – dont il est question dans son nouveau film – a eu lieu dans une certaine pièce, sur un certain tabouret… qui n’est qu’un simple tabouret IKEA. Par moments, le film fraye avec May December sur la question des actrices, mais seulement pour opposer ce que serait une mauvaise actrice (américaine, jouée par Elle Fanning), et une grande actrice (européenne, sa muse, Renate Reinsve). À subir la prestation de cette dernière, on comprend vite qu’une grand actrice alterne grand sourire et grande peine, et joue d’abord avec son nez pour la dernière émotion, en reniflant bruyamment.

Cette succession de petites scènes ellipsées, qui passent du rapport à la maison au rapport entre soeur en passant par les doutes d’une actrice, reste un film de Joachim Trier, c’est-à-dire que 1) on se met à tellement détester tous ces archétypes mous qu’on se positionne presque malgré-soi du côté du vieux con réac’ qui a carrément raison de bousculer et dire des horreurs à ses filles de bourge privilégiées et 2) le scénario dérive vers une question vidée de nuance : alors Nora ? elle va jouer dans le film de son père ou non ?? La résolution finale va vous surprendre (non) et renvoie tout le monde à sa place (oui). Film IKEA : il range tout comme il faut à sa juste place. La mauvaise actrice disparaît, la grande actrice joue avec son père, la sœur n’est qu’une sœur. Sentimental Value s’inscrit – cherche à s’inscrire – dans une grande tradition du cinéma mondial qui a voulu faire de la maison soit un lieu à soi, soit un lieu de luttes familiales et autres tartes à la crème : Tarkovski, Akerman, Bergman… une lignée dans laquelle sera bientôt rangé Joachim Trier certes, mais uniquement pour une rétrospective MUBI, aux côtés d’autres films européens explicitement cités avec lourdeur. Les enjeux sont multiples et binaires (garder ou non la maison, se réconcilier ou non avec sa fille, faire ou non le film), en plus d’être tous visibles et lisibles, gentiment découpés et répartis dans leurs propres séquences – les ellipses n’empêchent pas la compartimentation. Dégoulinant de niaiserie, les deux sœurs reparlent de leur enfance à la fin et pleurent en y repensant… qu’il est insupportable de vivre dans une famille bourgeoise dysfonctionnelle ! Le film simule une petite dramaturgie par l’introduction de l’actrice américaine godiche qui ne servira au final que les seuls intérêts de la famille danoise. Bourgeoisie réac’, solidaire même lorsqu’ils sont fâchés. Sans doute que Joachim Trier trouve cela mignon, voire touchant, sans se rendre compte qu’il dévoile par ce dernier film un fond conservateur dont on se serait bien passé, enfin encore plus que son cinéma en règle générale.

Sentimental Value de Joachim Trier, le 20 août 2025 au cinéma