Entretien avec Hasan Hadi, réalisateur de The President’s Cake | Quinzaine
À la suite de la découverte de The President’s Cake, sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, nous avons discuté avec le réalisateur irakien Hasan Hadi. On revient avec lui sur la genèse de ce film basé sur des souvenirs d’enfance, ses envies de faire découvrir l’Irak des années 90 à son public, et les difficultés qu’il a pu rencontrer dans le cadre du tournage.
Tsounami : Ce qui frappe en premier dans votre film, c’est le lien entre les deux enfants, Lamia qui doit préparer le gâteau, et Saeed, son ami qui l’aide dans cette aventure. Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire à travers les yeux des enfants ?
Hasan Hadi : Les enfants sont innocents, sans jugement, avec un regard non-biaisé. Ils ne sont pas encore influencés par la politique ou les conflits. C’est ce qui rend leur regard si précieux : ils observent le monde avec sincérité. C’est aussi pour ça qu’on a tourné le film en essayant d’adopter leur point de vue, sans commenter ni influencer ; on voit ce qu’ils voient, on entend ce qu’ils entendent. Et puis, ce choix vient aussi de mon histoire personnelle. Enfant, j’ai moi-même été choisi pour apporter les fleurs à l’anniversaire de Saddam Hussein. Ce film est en quelque sorte un prolongement de ces souvenirs, où Lamia doit cette-fois trouver de quoi faire le gâteau dans un contexte de pénuries.
T : Entre Lamia et Saeed, il y a une discussion sur la façon de trouver les ingrédients du gâteau : certains moyens sont considérés « bons », d’autres « mauvais », comme le vol. Dans tout le film, on voit des personnages qui font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir, quitte à franchir certaines limites. Pourquoi cette dualité ?
HH : L’un des effets les plus dévastateurs des sanctions en Irak, c’est qu’elles ont poussé les gens à faire des choses qu’ils n’auraient jamais envisagées autrement. Quand on est acculé, quand on a faim, quand on doit survivre, on met de côté certains principes. C’est comme ça que la corruption et une forme de criminalité se sont installées dans le pays. Dans le film, on le montre à petite échelle : une fillette qui, au départ, refuse l’idée de voler parce qu’elle a des valeurs apprises par sa grand-mère et à l’école finit par se résigner et le faire, rejoignant un quotidien similaire à son ami. C’est une manière simple de montrer comment la pression peut faire évoluer la morale, en mettant des personnes au pied du mur.
T : Vous ne portez jamais de jugement sur les personnages.
HH : Non, jamais. Je préfère laisser le public y réfléchir par lui-même et en tirer ses propres conclusions. Je pense que les gens font parfois des choses mauvaises sans se rendre compte qu’elles le sont, parce qu’ils ont leurs raisons. Je n’ai pas envie de dire : « ce personnage est bon », « celui-là est mauvais ». Chacun agit selon son vécu, son contexte. Mon rôle, c’est d’observer, de montrer, pas de juger.
T : Le travail sur le son est très surprenant aussi, notamment ces bruits de pétards et de bombardements récurrents.
HH : Oui, justement. Ces pétards sont censés célébrer l’anniversaire du président, mais pour beaucoup d’adultes actuellement, ils rappellent des souvenirs très douloureux : les bombes, les tirs… Même dans la dernière scène, on a volontairement mélangé les sons de fête et ceux de guerre. Le but, c’était de créer un effet de confusion, comme ce qu’on ressent quand on est enfant dans un monde instable comme a pu l’être l’Irak de la période du film. Le son nous a permis de rendre cette émotion invisible mais très présente : cette tension entre le réel, le souvenir, et la poésie…
T : Vous avez tourné avec des acteurs non professionnels, tous irakiens. Est-ce que ça a été difficile pour eux ? Certains ont-ils revécu des souvenirs difficiles ?
HH : Oui, parfois c’était très fort émotionnellement. Certaines scènes touchaient plus qu’on ne s’y attendait, et pas forcément celles auxquelles on penserait en premier. Par exemple, dans la scène du café avec de la musique et la chanteuse, plusieurs figurants ont eu les larmes aux yeux. Ils disaient : « Ça nous rappelle comment c’était à l’époque. » Il y a des émotions enfouies qui remontent sans prévenir. Ça montre à quel point certaines blessures collectives restent vivantes, même des années plus tard.
T : C’était la première fois qu’ils jouaient devant une caméra ?
HH : Pour presque tous, oui. C’était leur tout premier tournage. Et en plus, ils ne connaissaient pas toute l’histoire du film ; par exemple, tel commerçant ne savait pas ce qui se passait après sa scène, ni ce qui l’avait précédée. C’était comme une découverte permanente, scène par scène. Ça a apporté une forme de naturel à leur jeu.
T : Avez-vous eu des difficultés à trouver des actrices, en particulier pour le rôle de Lamia ?
HH : Oui, ça a été compliqué. L’actrice jouant Lamia vient d’ailleurs d’un milieu où on n’encourage pas vraiment les filles à faire du cinéma ou à apparaître à l’écran. Il y a encore une forte pression sociale. Même si les choses changent peu à peu, il reste beaucoup de réticences. J’espère que ce film aidera à casser cette barrière, à montrer que les femmes ont toute leur place devant la caméra. Et ce n’est pas seulement pour les femmes : parfois, on voulait juste filmer une rue ou un décor, on sortait la caméra… et tout le monde disparaissait comme si on tirait des balles ! J’ai toujours été intrigué par cette peur.
T : Vous pensez que c’est culturel ?
HH : C’est possible. Peut-être que ça remonte à la dictature, où les gens avaient peur d’être filmés, identifiés, arrêtés… Et cette peur est restée. C’est aussi lié à la société patriarcale, avec ses règles strictes sur ce que les femmes peuvent faire ou pas. Franchement, je ne sais pas exactement le poids de chacune des raisons. Mais ce que je souhaite, c’est que les gens finissent par voir la caméra comme un ami, et non comme une menace. Un jour, on filmait un endroit où passaient des écolières, et dès qu’on a sorti la caméra, toutes les élèves se sont enfuies !
T : Vous avez d’autres projets prévus en Irak ?
HH : Oui, bien sûr. Je travaille déjà sur un nouveau projet dont l’histoire se déroulera aussi en Irak. J’espère qu’il sera encore plus profond, encore plus abouti.
T : Quel message voulez-vous faire passer ?
HH : Je n’aime pas forcer un message dans mes films. Mais j’espère que ce film fera réfléchir. Qu’on arrête de voir les sanctions envers un pays comme quelque chose de « non-violent ». En réalité, elles détruisent des vies, affaiblissent les sociétés, et renforcent les dictateurs. C’est une arme invisible, un cancer qui se répand partout, lentement, mais sûrement. Par exemple, quand il fallait soigner Bibi à l’hôpital, et que ses médicaments n’étaient pas disponibles pour cette raison. À travers leur histoire, à Lamia et Saeed, j’espère que les spectateurs verront un aperçu de ces conséquences. Et qu’ils changeront peut-être leur regard sur l’Irak et sur la région de manière générale.
Entretien réalisé à Cannes le 17 mai 2025 par Faezeh Hosseini Sadrabadi