Fixe-moi

Critique  | Urchin de Harris Dickinson, 2025  | Un certain regard


Gamin des rues, Michael (Frank Dillane) l’est presque littéralement. Grand corps rentrant sans arrêt les épaules, adoptant une position contrainte ou contrite quand on s’adresse à lui, il a du mal à se prendre en charge quand il s’agit de gagner de l’argent (les projets ne lui manquent pourtant pas, il veut ouvrir un business de chauffeur de luxe), de faire autre chose que de répondre à ses besoins primaires. SDF, il finit en prison pour un court séjour, après avoir frappé et volé la montre d’un homme qui était en train de l’aider (ce qui le traumatise au moins autant que sa victime).

La force du film est que malgré le sujet « social », il ne tombe pas dans la surenchère au pathos à la fatalité auto-destructrice d’un Ken Loach : il s’enfonce et refait surface à chaque fois. La prison lui permet par exemple un moment de répit pour reprendre ses esprits et prendre une douche. Si le symbolisme est assez facile – prendre une douche pour laver son âme – les parenthèses fantastiques qui interviennent à chaque fois qu’il se laisse aller à l’eau provoque une forme d’apaisement communicatif et un sentiment  d’étrangeté qui donne une profondeur particulière au personnage plutôt bien écrit et brillamment interprété par Dillane.

Car ce qui intéresse Dickinson n’est pas tant son potentiel autodestructeur que cette âme d’enfant qu’il a gardée pour le meilleur et pour le pire. Souvent filmé allongé en position foetal, son problème n’est pas qu’il n’arriverait pas à couper le cordon (il a été adopté et semble ne pas vouloir s’étaler sur ses parents) mais qu’il n’a jamais su comment prendre racine, s’installer quelque part, en lui-même, et dans son propre corps qu’il ne cesse de scruter sous toutes les coutures. Toujours ambivalent, il ne veut pas que l’intermédiaire de la justice réparatrice lui parle comme un enfant (le laissant sans voix, dans la mesure où son speech ne peut être que déclaré sur un ton infantilisant), et réclame pourtant d’être constamment pris en charge, non décisionnaire.

Gamin perdu dans une dépression masculine (trop rarement traitée au cinéma) qui se précipite à vivre quand les occasions se présentent enfin, probablement égoiste, mais dont Dickinson nous fait toujours  saisir la logique : ce n’est pas qu’il n’est pas obtempérant avec le policier qui s’apprête à lui faire une fouille anale, c’est seulement que ses mains manquent de chaleur humaine. Le réalisateur a l’intelligence de ne pas toujours lui donner raison, notamment face à sa très récente petite amie qui, se faisant culpabiliser de ne pas accepter de l’héberger, le remet à sa place et lui fait comprendre que trop vivre dans l’instant  présent vaut parfois comme échappatoire à ses responsabilités.

Le films s’ouvre sur une prédication religieuse qui le réveille et le pousse à quitter son trottoir, et se termine sur son ami Nathan (joué par Dickinson lui-même) habillé en prêtre qui d’abord l’accueille pour mieux le pousser dans le vide, cauchemar d’homme ivre affalé sur le sol. L’image est forte : jeté dans le vide est le foetus-homme, sans pouvoir donner sens à sa vie, sans rédemption qui l’attend là quelque part, livré à lui-même et sa solitude.


Urchin de Harris Dickinson, en salles prochainement