Dominique Cabrera : carte blanche de Mathieu Amalric (Tenk/DSGE)
Tënk et Documentaire sur Grand Écran (DSGE) ont eu la merveilleuse idée de proposer à Mathieu Amalric de choisir quelques films dans leur fabuleux catalogue. Au programme de cette carte blanche : Puisque nous sommes nés (2008), de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana, Les Films rêvés (2010) d’Éric Pauwels, et Ici Làs-bas (1988), Une poste à la Courneuve (1994), Réjane dans la tour (1993) de Dominique Cabrera. Invitation à (re)découvrir ces splendides documentaristes, en particulier cette dernière…
C’est l’histoire d’une cinéaste, Dominique Cabrera, qui rend au monde ce qui est au monde : sa beauté et sa richesse, sa vie. La caméra de Cabrera et son regard, ne prennent pas, n’accaparent pas : ils donnent. Ce don, comme un potlatch, est échange ; échange de perceptions, de présences, d’images. On attrape — ou vole ? — quelque chose du quotidien puis on le partage, et c’est dans ce partage que les choses se transforment, se transfèrent. Tout coule et se meut. Les documentaires de Cabrera disent le mouvement de la vie, son réel. Ils montrent ce qui a de commun, ce qui nous rassemble ; ils rendent sensible la porosité tout autant que la séparation. Ces images, celles qui capturent Réjane, la famille Cabrera, une poste de banlieue, conservent le mystère qui gravite dans les mots, les gestes, les passés. Elles attrapent quelque chose de l’existence, de la vie ordinaire d’une époque, de la vie de chaque être. Cabrera conserve ainsi la palpitation de la vie, ses silences, ses douleurs et ses marges. Elle fait des images à partir de traces, images devenant elles-mêmes traces de vies. Trace d’une société, de souvenirs, de visages. Trace d’un passé douloureux et encore tabou, sur la colonisation française, contée par la mère Cabrera, et le regard la génération suivante. Trace d’un visage vieilli par le travail et le malheur, d’une femme passant sa vie à regarder les recoins de murs et de portes à la recherche de déchets. Trace de foule et de solitude, du commun qui se noue autour de l’argent, de sa circulation, et de son attente. Images tracées aussi fragiles que des pellicules.
Ici, comme là-bas, pas de simulation. Pas de simulacre, la réalité est rendue pour elle-même. Ici, on sent le désir du regard, celui d’observer, de comprendre, et de résister au temps qui passe sans être aperçu. Il faut rendre l’existence au temps pour éviter l’oubli. Il devient alors primordial que Réjane, dans sa tour, soit vue et entendue, comme chaque homme et femme passant devant la caméra, devant le regard de Dominique Cabrera. Il est primordial que l’on se souvienne de ce mendiant philosophe, pilier de la poste de la Courneuve. Filmer et voir ces vies devient indispensable. Car dans ces brèches persistent la possibilité de la disparition — les suicides manqués de Réjane, les avenirs incertains des RMistes, le passé perdu dans les réminiscences. C’est donc l’histoire d’une cinéaste gardant — et donnant — en mémoire le dernier mouvement, la dernière parole, rajoutant son empreinte à l’éternel palimpseste évanescent.
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