Hommage à Otar Iosseliani

Article | Sortie Coffret Carlotta Blu-Ray intégrale Otar Iosseliani

Suite à la disparition d’un des plus grands cinéastes de notre siècle le 13 décembre 2023, Carlotta nous propose un coffret Blu-Ray inédit de l’œuvre intégrale d’Otar Iosseliani, l’héritier géorgien de Jacques Tati et René Clair.

L’existence de chaque être appelle l’autre. Vivre ensemble. Pour soi d’abord, et donc avec altérité. Faire communion pour faire communauté, grâce à ce que l’on perd — ce que l’on s’exproprie ou se laisse exproprier — donc ce que l’on gagne. Parce qu’une communauté de vies c’est devenir en commun, des communions d’autres en nous-même. Alors il est normal, dans une parabole carnavalesque, qu’un barman soit peintre en bâtiment et jardinier municipal, à ses heures, que le plus grand des idiots soit le plus génial des pianistes, qu’un ministre dorme sous les ponts. Il le faut : en prendre pour son grade. 

Un beau jour, disons un lundi matin, décider de partir : quitter ce que l’on a, laisser tout, derrière soi, pour y revenir peut-être, embarquer – sur une péniche, une Atalante, peu importe – et dire adieu au plancher des vaches. L’on part pour partir, simplement. L’ailleurs, le voir, le vivre, y flâner. Y rencontrer des gens amis, vieux ou à se faire. Y voir des visages, des figures. La rencontre. Le tout en une myriade d’histoires qui se croisent comme on tisse un tapis fait de mille et un fils entrelacés. On ne sait jamais d’où l’on part, ni où l’on va ; on se fait mener – et vogue, le navire… – par ce cinéaste de la fuite, de la fugue, de la dérive.

Les corps se meuvent plus aisément dans des plans larges, se voient davantage en pantomime. Une musicalité de gestes, de trajectoires, de chuchotements ; le rythme de la vie. Le cadre y est propice : les espaces sont vastes, les paysages sont faits pour être habités, les maisons omniprésentes. Dans ces larges plan-séquences, prennent place et importance les lieux de vie, ceux du quotidien, qui portent le temps en héritage.

Si le mouvement est constant chez Iosseliani, si les personnages s’agitent sans cesse, qu’ils courent après quelque chose, si le monde s’affaire, c’est bien parce que l’on n’a plus de temps pour vivre. Toujours en quête, en attente ; mais l’on se trompe en imaginant que le monde est meilleur là où nous ne sommes pas. 

Le temps s’étire, les corps glissent dans une danse sans parole. Les balbutiements des mots, un son en arrière-fond ; car peu importe ce que l’on dit, il suffit d’être là, de dire pour ne rien dire. Il suffit de papoter, chantonner — comme un merle —, de vieilles chansons géorgiennes, autour de verres de vodka que l’on trinque et fumer comme des pompiers. On verra bien plus tard.

Le culminant est absent, ou en hors-champ ; la préférence est plutôt pour la tonalité unique — ni trop basse ni trop haute. Rien que le quotidien et la banalité de vouloir s’en extraire.  Pas de spectaculaire, de grandes passions, de dramaturgie : pas de « quoi », mais du « comment ». Ce qui compte, c’est la façon dont ces histoires sont narrées. Écouter et voir plutôt que savoir.

Tout le monde se trompe, se rate, et chute, comme les feuilles d’automne. Mais il est bon de rire, parfois, de son désespoir. Seuls l’humour et le sarcasme peuvent nous sortir de l’impasse, « cette impasse d’être aussi idiots que le monde qui nous entoure ». Otar Iosseliani est un tendre pessimiste, un amoureux de la vie, de cette grande comédie humaine. Et c’est bien parce que la vie est pleine de ces désespoirs qu’elle vaut d’être vécue, sans jamais se prendre au sérieux. 

Redevenons mortels, mais bons vivants.

Coffret intégrale Otar Iosseliani, en vente sur la boutique Carlotta.