Haïkannes (haïkus cannois)

Haïkus sur quelques films présentés à Cannes

Nous avons reçu un mail de Philippe alors qu’il prenait le train pour Cannes. Nous avons bu un verre avec lui. Nous avons parlé haïkus. Il nous en a envoyés. On les a publiés.

COMPÉTITION

Diamant brut d’Agathe Reidinger

Coups de bec et ongles faux
avenir en feux de détresse
la fureur de vivre dans la mouise.

La jeune femme à l’aiguille de Magnus von Horn

Misère des surenchères plombantes
la chose accouche de ses pires malheurs
et de fil en aiguille jusqu’à la lie.

Bird d’Andrea Arnold

Théorème naturaliste crépitant
qui s’emploie à déployer
ses ailes fantastiques.

Megalopolis de Francis Ford Coppola

1
Pharaonique et dément faramineux démesuré
traversé d’éblouissances kitsch de discours quiches
un film-monstre abracacopollesque.

2
Sorte d’opéra punk anthologique archétypal
fabuleux et givré fabulant déraisonné
un film-monde pléthorique par coppolarité.

Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde d’Emanuel Parvu

Trois kilomètres ça use ça use
mais depuis belle lurette
ce n’est pas la fin du monde !

Kinds of Kindness
de Yorgos Lanthimos

Contes creux et grotesques de la cruauté perverse
marteau et psychopathique
antipathique et pathétique – kind of.

Oh, Canada de Paul Schrader

Vérités et mensonges
agonie filmée en miroir
confession funéraire très « fraudienne ».

Caught by the Tides
de Jia Zhang-ke

1
Main courante d’une marée montante
charriant les échos du passé
les éclats du présent les ombres du futur.

2
Revisite hybride de la Chine
d’avant et d’après le Covid
faux best-of vraie dérive temporelle.

Émilia Perez de Jacques Audiard

Ce cocktail à la téquila pimentée
clinquant ses couleurs improbables
ne renverse ni n’enchante.

Limonov – The Ballad de Kirill Serebrennikov

La gloire du vaurien entre bruits et fureurs
se change en bouillie frime et outrance
quand le regard se brouille et meurt.

The Substance de Coralie Fargeat

À corps perdu à tourner de l’œil
risible hémorragie gore et glacée
rejet irréversible en substance.

The Apprentice d’Ali Abbasi

Y a pas trumperie sur la marchandise
avec ce très carré biopic inachevé
d’une créature mégalodieuse.

The Shrouds de David Cronenberg

Eros et Thanatos tout en suaires
le corps du cinéma jusqu’à l’os
la vie outre-tombe.

Anora de Sean Baker

Boy plein aux as meets escort girl
Cendrillon trash ne pourra pantoufler
dans l’hyper-luxe russe du sale gosse.

Marcello Mio de Christophe Honoré

Jeux de rôles jusqu’aux vertiges
entre soi entre films
le non-dupe erre.

Parthénope de Paolo Sorrentino

L’art de la daube à l’italienne
un méga spot de pub interminable
Capri c’est fini !

Grand Tour de Miguel Gomes

Roue déroutante du temps oriental
fuite et course poursuite méliesques
jusqu’au cœur des ténèbres de l’amour.

Motel Destino de Karim Aïnouz

Le destin sonne toujours deux fois
mais trop de facteurs le flashent
en excès de promesses gâchées.

L’Amour ouf de Gilles Lellouche

Maelstrom flambard de grande surface
ça dépote mon pote
mais que gagne-t-on à la cogne ?

All we imagine as Light de Payal Kapadia

1
L’esprit d’une lumière modulée
irrigue d’une incroyable douceur
l’histoire de trois Indiennes solidaires.

2
De la turgescente cité des rêves
aux rivages de renaissance
le désir éclot touché par la grâce.

The Seed of The Sacred Fig de Mohammad Rasoulof

Sur le tapis perçant de métaphores
s’étalent peu à peu le frisson et l’horreur
la palme va au sens politique.

AUTRES SÉLECTIONS

Apprendre de Claire Simon (Séance spéciale)

1
Apprendre c’est comprendre
comprendre c’est apprendre
les uns des autres la vie ensemble.

2
Apprendre c’est attendre
attendre c’est apprendre
l’écoute de l’un le geste de l’autre.

En fanfare d’Emmanuel Courcol (Cannes Première)

Emmenez-moi au bout de la terre
sous le ciel du nord chopé en plein cœur
tout y vibre de ferveurs populaires.

C’est pas moi de Leos Carax (Cannes Première)

Autoportrait autoportant
en cinémage foutraque et provoc
jouant le je sur un fil godardien.

Desert of Namibia de
Yoko Yamanaka (Quinzaine des Cinéastes)

Désolement désolé
l’héroïne n’émeut ni n’intéresse
épuise le film et nous épile les poils.

Napoléon d’Abel Gance (Cannes Classics)

Gance avec les stars de Cannes
le choc d’un titan
avant-garde éternelle.

Ma vie ma gueule de Sophie Fillières (Quinzaine des Cinéastes)

Ma vie en vrac
ma gueule ouverte
pif et paf et takakkaw !

When the Light Breaks de Rúnar Rúnarsson (Un Certain Regard)

Dire au revoir au soleil
la perte déchire et se dédouble
dans le deuil de l’amour au secret.

Histoires d’Amérique de Chantal Akerman (Quinzaine des Cinéastes)

Histoires redélivrées
souvenirs inventés
force de la dérision de l’héritage.

Le Roman de Jim de Arnaud et Jean-Marie Larrieu (Cannes Première)

Noblesse du regard émotions fortes
extrêmement rare et sans prix
d’être ainsi pris aux tripes.

Vivre, mourir, renaître de Gaël Morel (Cannes Première)

Billard à trois bandes sensibles
pour une romance qui vire
aux violons du chagrin puis au miracle.

The Other Way Around de Jonas Trueba (Quinzaine des Cinéastes)

Comédie de remontage épatante et pêchue
tout se découple et se recoupe
de même au cinéma.

Les Pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse (Quinzaine des Cinéastes)

À force d’empiler ses sketches
la farce trash et féroce
se fait hara-kiri.

Spectateurs de Arnaud Desplechin (Cannes Première)

Dissertation cinéphile plus que bio-filmo réflexive
autofiction déclarative plus que vraie quête introspective
l’émoi du cinéma dans les méandres de son amour.