Critique | La Belle de Gaza de Yolande Zauberman | Séance Spéciale
Dans la nuit noire qui étouffe Tel-Aviv, d’autres types de personnes sortent dehors pour s’emparer d’un espace qui ne leur appartient jamais. Yolande Zauberman est allée à la rencontre de la communauté trans de la capitale diplomatique israélienne. Mais ce qu’elle y a surtout trouvé, c’est d’abord un secret. « On m’a dit que l’une d’entre elle était venue à pied de Gaza » : voilà qui croise bon nombre de sujets brûlants. Caméra portée et peut-être cachée, les rushes proviennent, bruts, de la rue, mais ne sauraient venir à bout de ces femmes, de ces corps debout, résistants et dignes —en érections. Encore mieux, le documentaire se fait déborder. Cette quête romanesque ne mène à rien de concret sinon une conclusion, ô combien poétique : la nature fondamentalement fluide de ces femmes trans (et de la communauté LGBTQIA+ par extension) leur permet d’échapper à toute case ou catégorisation. Car se définir, c’est se figer, et donc commencer à mourir. Zauberman offre son documentaire aux passantes, laisse son documentaire prendre l’eau, et offre à toutes les belles de Gaza une caméra pour que partout se reflète leur image.
Autour de la recherche de la Belle de Gaza s’articulent de nombreux régimes d’images, indépendants (évidemment). Des confidences, des séquences musicales, des femmes que l’on suit sur un bout de trottoir qu’elles défendent… le film est liquide, mouvant, au service des Nadine, Nathalie et Danielle qu’il rencontre et qu’elles redirigent vers celles qui pourraient la conduire jusqu’à la Belle. Peu importe l’intuition de départ semble-t-il peu à peu découvrir, tandis que les noms et identités de ces femmes volent, changent ou s’échangent en toute simplicité. Il y a tant de belles à regarder et autant d’histoires à entendre ! L’une des plus émouvantes provient d’une femme âgée qui raconte son expérience avec son ancien mari, rappelant la puissance et la liberté dont un corps véritablement indépendant dispose : « I’m a fantastic pussy ! » De son expérience personnelle à celle qui a relié Gaza à Tel-Aviv à pied, il n’y a qu’un pas, un cut. Un film qui les contient toutes deux, qui synthétise et transcende toutes les dominations subies pour revenir à quelque chose de beaucoup plus simple, le documentaire comme place où s’échange la parole et s’entrechoquent deux subjectivités. Qui regarde qui ? La documentariste, les femmes trans de son film ou le contraire ? Il n’en reste pas moins qu’en souterrain, le film, jusque dans son titre, interroge l’histoire et l’attend au tournant. Un jour, il faudra rendre grâce aux belles de toutes les Gaza du monde.
La Belle de Gaza de Yolande Zauberman, au cinéma le 29 mai 2024