Critique | Maria de Jessica Palud | Séance spéciale (SO)
Dans la tendance généralisée et de plus en plus rapide d’une « biopic-isation » du monde et du moindre événement de relative envergure, une sous-catégorie de films semble peu à peu se dégager : les safe movies. Forts d’une conscience politique et féministe, conscients d’arriver après Me Too, ces films abordent différentes figures et étapes marquantes de l’histoire avec l’obsession de raconter le mal dans des espaces entièrement reconstitués (aménagés et donc, cette fois-ci, contrôlables), comme pour rendre supportable les horreur subies. Adapté du livre de sa cousine Tu t’appelais Maria Schneider, le film relate les événements les plus retentissants de l’actrice, à commencer par la scène du viol par sodomie avec Marlon Brando sur le tournage du Dernier Tango à Paris de Bertolucci. Mais que peut dire de neuf un biopic moyen à propos d’une des scènes les plus scandaleuses de l’histoire du cinéma ?
La première partie du film est orchestrée par un mauvais suspense, d’abord comme un jeu de société pour cinéphile où il s’agirait de reconnaître les films cités et les personnalités reconstituées, et dans un second temps par l’attente de la scène fatidique. Montrera ou montrera pas ? Par sa mise en scène, Maria pose donc de pauvres questions ; et par son écriture des personnages, de frileuses réponses. On y observe un Marlon Brando aveuglé par l’Actor’s Studio (avec un Matt Dillon génial, trop, presque inquiétant par sa facilité à incarner des psychopathes), complice d’un réalisateur en recherche de vérité, incapable d’analyser le dispositif qu’il met en place dans le réel. C’était les années 1970. Certes, mais pourquoi ?
Sauvé soit le biopic
Lorsqu’il tombe dans ses pires travers (majoritaires dans la production contemporaine), le biopic est un cinéma de constats. Maria Schneider violée, elle se tourne vers la drogue. Maria pleure, allongée et souillée sur le sol d’un appartement parisien, cut, elle danse en boîte, rencontre un homme, le ramène chez elle, il se drogue, elle fera comme lui. Sujet, cut, sujet 2. Le film-sujets est un film-sujet qui fait une course de relais. Si Maria se drogue, c’est avant toute chose parce que le livre originel l’impose à la réalisatrice, car jamais elle ne s’empare de cette trajectoire comme ce qui un jour fut quand même une contingence. Alors pour donner un peu plus de force au récit, la vie de l’actrice est enrobée d’un symbolisme consternant : un plan sur des oiseaux qui s’envolent quand elle s’échappe de l’hôpital, ou encore une réplique finale vengeresse et anachronique (« je vous écoute ») pour dire simplement ce que si peu de personnes ont osé faire à l’époque, Schneider s’adressant à une journaliste, l’inversion des rôles soulignant au carré la figure de style.
À tellement vouloir se situer dans notre présent, Jessica Palud aurait-elle fait un attentat au biopic, creusant dans la figure d’un acteur et d’une actrice iconique une recherche sur celui et celle qu’elle a filmé (Matt Dillon et Anamaria Vartolomei) ? La question mérite d’être posée tant l’un semble baigner dans ce pour quoi il a toujours excellé, tandis que Vartolomei, méconnaissable en Schneider, continue de creuser la politique de son œuvre, enchaînant les projets diamétralement opposés (L’Empire de Bruno Dumont, Le Comte de Monte-Cristo de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière)… Voilà donc où en est le biopic à ce jour : réincarner des stars, une époque, une ambiguïté et des icônes d’antan avec un casting de moindre mesure, terrifié à l’idée du moindre faux-pas ou trouble laissé à l’appréciation du spectateur. Bref,une mise en image injustifiée d’une suite de faits sur lesquels on aurait mieux fait d’en apprendre sur Wikipédia plutôt qu’au cinéma.
Maria de Jessica Palud, au cinéma le 19 juin 2024