Christophe Honoré : « Le sexe occupe certainement la moitié de ma vie »

Entretien avec Christophe Honoré, Président du jury de la Queer Palm | Festival de Cannes 2025

Le choix de Christophe Honoré à la Présidence du jury de la Queer Palm a quelque chose d’une évidence : les années avançant, on a tous dans le cœur l’un de ses films – rempli de secrets à déjouer, de lits sur lesquels s’épancher, s’aimer puis chanter. Autre certitude, notre désir de discuter avec lui de cinéma en général, de ses films et des représentations queer et sexuelles en particulier. Depuis une position privilégiée pour observer les évolutions en la matière depuis la fin des années 1990, nous ne doutions pas de la qualité des réflexions de ce grand cinéphile sur le sujet… et elles furent au rendez-vous !

Tsounami : Quand as-tu été à Cannes pour la première fois ? En tant que Festivalier puis en tant que cinéaste ?

Christophe Honoré : Ma première fois en tant que festivalier, c’est grâce à mon travail de l’époque au Festival Premier Plans d’Angers. J’étais stagiaire, je m’occupais notamment de faire le catalogue et j’avais rencontré Claude-Eric Poiroux qui m’avait dit : « viens à Cannes ! Si tu trouves une chambre d’hôtel, tu pourras voir des films ». Je me souviens que j’avais trouvé une chambre à l’hôtel des Mimosa, et que je la partageais avec une copine. Et très honnêtement, je crois que c’est mon meilleur Cannes ! Je me souviens très bien avoir compris à l’époque que pour aller voir les films de la Quinzaine, je pouvais passer par derrière et rentrer dans la salle sans faire la queue… Puis, j’étais à peu près bien vu par un attaché de presse qui s’occupait des films de la Caméra d’or, et j’avais pu donc tous les voir. Je me souviens aussi d’avoir vu Crash de Cronenberg  à 22h, et que j’avais dû négocier parce que je n’avais pas vraiment de smoking… Enfin, une cravate, pas de nœud papillon… Et mon amie qui était avec moi avait transformé ma cravate en un nœud papillon ! Bref, j’avais adoré le film, tout le monde partait et ça m’indignait ! C’est un souvenir très heureux, ce premier Cannes. Je crois que c’était en 1996. Et à l’époque, je tenais un journal d’un personnage imaginaire que j’avais appelé Roland Cassard (nom du personnage de Marc Michel dans Lola et Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, auquel Christophe Honoré fait aussi référence dans son premier film 17 Fois Cécile Cassard, ndlr), j’étais déjà un peu trop branché là-dessus ! Je l’ai envoyé à Serge Toubiana, et c’est comme ça qu’après, j’ai eu une chronique régulière aux Cahiers. 

T : Que représente une sélection au Festival de Cannes ? et une sélection en Compétition ?

CH : C’est essentiel. La première fois, c’était pour Les Chansons d’amour (2007). Avant ça, j’étais venu à la Quinzaine avec Dans Paris (2006) et puis mon premier film (17 fois Cécile Cassard, 2002) était à Un Certain Regard. Donc pour ma première fois en Compétition, je savais un peu comment se passait le Festival. Les Chansons d’amour, je me souviens très bien avoir montré le film à Paulo Branco (le producteur, ndlr) et Jean Labadi (le distributeur, ndlr), deux jours jours avant l’annonce et qu’ils avaient dit qu’il fallait absolument le présenter à Thierry Frémaux. Alors que c’était qu’une V1, le film était tout pourri, le montage pas fini…  Mais ils l’ont envoyé. Et deux, trois jours après, on m’a dit d’arrêter le montage car le film allait à Cannes. Donc c’était très particulier comme moment… Avec Louis Garrel, Clotilde Hesme, Ludivine Sagnier, on était tous très jeunes, on avait vraiment l’impression d’arriver en 2-CV parmi les Alfa Roméo ! Il y avait une espèce de légèreté… 

Aujourd’hui, quand un film comme Le Lycéen (2022) n’est pas sélectionné à Cannes, ça devient un problème. C’est devenu un tel enjeu pour les films d’auteur et, très honnêtement, il n’y a plus que Cannes. Après, votre ego, votre orgueil, vous pouvez être un peu heureux d’être en compétition à Berlin ou à Venise mais vous savez très bien que ça ne va en rien contribuer au lancement du film. C’est purement égotiste. Cannes est devenu le lieu essentiel pour présenter un film pour la première fois. Désormais, j’ai un rapport au Festival qui devient plus professionnel, et je suis très heureux quand à minuit je reçois le coup de fil pour me dire qu’on est en compet’. Ça reste quand même toujours un bonheur enfantin de le partager avec les comédiens, l’équipe technique mais c’est aussi un enjeu et du stress. 

T : Entre la première fois et la dernière fois que tu es venu à Cannes, as-tu constaté une évolution, un tournant quant à la réception des films queer ? On s’adresse au cinéaste mais aussi au jury de la Queer Palm

CH : Je ne sais pas s’il y a eu tant un tournant à proprement parler car les films queer existent depuis longtemps, bien avant la création de la Queer Palm. L’histoire du cinéma est quand même très redevable à la communauté LGBT, à ces immenses cinéastes gays ou lesbiens : de Cocteau, Epstein à Pasolini, Fassbinder, Almodovar, Akerman… Mais c’est vrai qu’ils étaient invisibilisés, sur le côté, c’était une minorité sexuelle. Est-ce qu’il y a vraiment une évolution ? Je ne sais pas. Un film queer, pour moi, c’est plus la manière dont on en parle, l’éclairage qu’on lui porte. J’appartiens à une génération de cinéaste avec François Ozon, Gaël Morel, où ce n’est pas qu’on s’est outé nous-même, c’est que ça nous semblait évident de dire qu’on était pédé, et il y avait par conséquent une manière de filmer la sexualité, les désirs, qui allait avec, et qui était un peu différente de nos collègues hétéro. Mais il y a eu beaucoup de cinéastes qui m’ont précédé qui étaient dans le placard : Jacques Demy est resté dans le placard toute sa vie, alors que si il y a bien un grand cinéaste queer français, c’est lui. Ou même Téchiné, etc. Forcément, on appartient à notre époque… 

Même si on a le droit aussi de pas appartenir à son époque et qu’il y a sans doute des cinéastes aujourd’hui qui sont queer ou pédé et qui ne le revendiquent pas. Moi-même je ne me revendique pas cinéaste pédé, même si j’en ai pas honte et je n’ai pas l’impression de devoir m’en cacher. Je dis ça, et en même temps c’est faux : je dois bien admettre qu’en tant que cinéaste qui a fait un certain nombre de films, depuis un certain nombre d’années, chaque fois que mon film est plus clairement LGBT j’ai des commentaires homophobes. On me dit : « mais pourquoi tu fais encore un film avec des pédés ; tu veux pas transformer ce personnage en fille ; ça, ça ne concerne personne ; il faut couper cette scène parce que ça va embarrasser les spectateur… » et cela jusqu’au Lycéen où les trois scènes qu’on a insisté pour que je coupe étaient comme par hasard des scènes de représentation sexuelles entre deux garçons… Et j’en ai coupé deux. Moi-même à un moment je finis par me dire qu’ils ont peut-être raison. C’est ça le danger. C’est pour ça que la Queer Palm est importante, un peu comme un refuge pour les cinéastes gays ou lesbiens. Pouvoir se dire que ce qu’on nous reproche ailleurs, ce qui nous rend vulnérable tout le temps, pour la Queer Palm, au contraire, c’est une bonne chose. C’est un peu naïf de dire ça mais voilà…

T : Qu’est-ce que ça veut dire un cinéma queer ? D’ailleurs, tu cites des réalisateurs ou des réalisatrices qui sont queer mais est-ce qu’il existe un cinéma queer hétéro par exemple ?

CH : Pour moi, il existe un cinéma queer hétéro et un cinéma queer canada dry hétéro (rires). Par exemple, La Vie d’Adèle (2013) est un grand film de cinéma, mais c’est un film anti-queer avec une vision hyper hétéronormée d’un couple lesbien. Pareil pour Émilia Perez (2024) qui, lui aussi, est absolument anti-queer, et pourtant le personnage principal est censé l’être… Et de plus en plus aujourd’hui, il y a plein de cinéastes qui écrivent des personnages queer ; mais je ne leur reproche rien. De la même façon, que moi je suis très heureux d’avoir aussi des histoires hétéro dans mes films. En revanche, je vois bien qu’ils expriment leur imaginaire sur ces questions depuis leur place de réalisateurs hétéro. D’un point de vue de cinéma, ce n’est pas tant un problème. Mais d’un point de vue militant, ça peut en être un… Mais par exemple, Wong Kar-wai a fait peut-être le plus beau film sur une histoire homosexuelle entre deux hommes, Happy Together (1997), qui est à la fois d’une tendresse, d’une cruauté inouïe et d’une justesse dans un rapport psychologique insensé. Après, il a eu aussi l’intelligence de prendre un acteur qui était vraiment homosexuel, et je crois que c’est ça qui donne le réel au film.  En vérité, l’inverse serait aussi dangereux. J’ai eu des réflexions de la part de gens qui m’ont dit que puisque j’étais un réalisateur pédé, je devais faire des films de pédé et ne pas aller sur d’autres terrains… Il ne faut pas s’enfermer. Moi j’ai aucun problème à ce que Audiard fasse de l’appropriation queer, je trouve ça intéressant, surtout qu’il vise un public plus large, plus mainstream. Après on peut s’interroger en terme de mise en scène, questionner ce que cela raconte réellement, le fait que c’est aussi le centre qui regarde la marge… Mais c’est ça qui est intéressant, je crois. 

T : De la même façon qu’il existe des histoires de culture queer, sans forcément mettre en scène des personnages qui sont queer eux-mêmes. Par exemple, Catherine Deneuve dans tes films nous paraît complétement queer

CH : La définition du queer est compliquée. Je me souviens que j’avais été aux États-Unis dans une université avec des vieux profs qui me disaient que j’étais tellement queer… Et ça m’énervait ! (rires) Parce que je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient dire et j’avais l’impression qu’on me cataloguait dans quelque chose. J’étais un jeune cinéaste et un peu gêné par ça… Parce qu’aux États-Unis, vos films ne sont plus présentés que dans cette catégorie là. Pareil pour les romans, on vous range dans le rayon queer et pas en littérature générale. On n’a pas ça en France, ce fantasme un peu d’universalisme… On voit bien tous les problèmes que ça peut causer. Etre queer, c’est aussi être hybride, tout simplement indéfini. 

T : Il y a une porosité dans le terme lui-même… 

CH : Oui, voilà. Et ça regroupe aussi bien Carol (2015) de Todd Haynes –  je le cite parce qu’il vient de recevoir le Carrosse d’Or de la SRF et c’est un grand film queer, bien que très classique dans sa forme et sa mise en scène, les références à Douglas Sirk etc. – et il peut y avoir des films complètement fous, sans personnage lesbien, homosexuel ou trans mais qui dans leur forme, hybride, dans leur manière un peu folle d’envisager le cinéma et d’échapper au mainstream, deviennent complètement queer

T : Tu parles de Douglas Sirk,  ce qui me fait penser à Rock Hudson et donc à ton spectacle Les Idoles (2018 et 2025, ndlr). Quand tu as mis en scène la pièce, tu l’as fait pour rendre hommage à une génération de personnes qui ont été, on l’imagine, importantes et structurantes dans ta construction. Si tu devais te projeter dans un jeune homme de dix-huit ans aujourd’hui, quelles seraient pour toi tes idoles ? Du moins, quels seraient les intellectuels, les artistes qui t’aideraient à penser le monde ?

CH : Si j’étais un jeune homosexuel aujourd’hui, je pense que ça me poserait déjà problème que mes idoles soient que des hommes… Alors que ça ne me posait absolument pas de problème dans les années 1990. Pourtant, je lisais  Virginia Woolf, je connaissais les films de Chantal Akerman, je ne peux pas dire que je n’étais pas attentif aux oeuvres queer féminines. Mais mon élan premier était quand même sur des hommes, dont j’ignorais d’ailleurs pas qu’ils étaient homosexuels. Bon, il se trouve qu’en plus ils étaient tous frappés par la même maladie et la même tragédie qu’est le SIDA. Je pense qu’un jeune homosexuel d’aujourd’hui ne se permettrait pas d’avoir six idoles hommes, enfin il verrait bien qu’il y a un problème, ou ça l’interrogerait du moins lui-même sur sa masculinité. Et je crois que ça, ça a déjà énormément évolué. 

Moi je fais partie d’une génération d’homosexuels où il fallait absolument gommer sa part de féminité, parce que depuis la cour d’école on nous disait qu’on était efféminés ou je ne sais quoi… Être homosexuel, c’était plutôt aller vers des codes de virilité assez affirmés. En même temps, il y avait aussi cette volonté dans ma génération d’aller vers une normalisation de l’homosexualité, qu’on a connu notamment avec le PACS, alors que je pense que les homosexuels d’aujourd’hui veulent au contraire pas seulement assumer, mais revendiquer le fait d’échapper à la norme, ce qui entraîne forcément des goûts et des imaginaires différents. Moi, par exemple, je ne pense pas que je pourrais être un idole d’un homosexuel de 20 ans d’aujourd’hui. Car je crois que j’incarne quelque chose qui est déjà à dépasser. Mais qui pourrait être mon idole si j’avais 20 ans ? Léonie, par exemple, qui est dans le jury de la Queer Palm. Et pour les cinéastes… C’est intéressant, une drôle de question ! (rires) Je pense qu’Adèle Haenel serait une idole. Elle représente autre chose, certainement pas la normalisation lesbienne. Et je pense qu’Adèle serait une idole de par son parcours aussi. Les gens comme Hervé Guibert ou Koltès, ils se sont fracassés au réel et à la société au travers du SIDA. C’est ça qui transforme en idole. Adèle, elle a malheureusement cette destinée tragique. Ce n’est pas totalement une tragédie, mais il y a quand même l’idée du renoncement qui est terrible à gérer. 

T : Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui on est arrivé à un stade où on peut créer des personnages de méchants qui soient queer ?

CH : C’est un vrai souci en fait. À un moment c’était vraiment gênant que dans les films de James Bond, les personnages de méchants, et je le dis exprès de façon caricaturale, avaient toujours un petit côté efféminé… Et si on pousse même plus loin ce côté caricatural, dès qu’il y avait un nazi dans un film, il fallait qu’il soit en plus un peu pédé… (rires) Ça rajoutait quelque chose, ça faisait dire au spectateur que c’était un vrai méchant parce qu’en plus il était pervers et vicieux ! Aujourd’hui, il y a une difficulté à ce que les personnages issus des minorités sexuelles ne soient pas toujours valorisés par la fiction. En tant que cinéaste, il y a beaucoup de films LGBT qui sont un peu trop béni-oui-oui pour moi… Ça en devient des films un peu faibles d’un point de vue cinématographique, car il n’y a pas de contradiction au cœur du personnage. Forcément, la fiction décide qu’il est davantage victime de quelque chose… 

Pour moi, la Queer Palm doit avant tout récompenser un grand film de cinéma. L’autre chose, c’est la représentation sexuelle, et notamment les questions autour de la nudité, du désir. Aujourd’hui, on ne peut qu’être rassuré par vers où on va. Le cinéma a été quand même le lieu de beaucoup d’abus, notamment dans les rapport entre cinéastes et acteurices. Moi j’ai été élevé en tant que cinéphile par cette idée qu’un cinéaste choisissait une copine, comme Jean-Luc Godard avec Anna Karina, François Truffaut avec Catherine Deneuve, Roberto Rossellini avec Ingrid Bergman… Et il y a eu toute cette mouvance dans le cinéma moderne, cette idée un peu voyeuriste, qu’on soupçonnait une histoire d’amour entre le cinéaste et l’actrice ou l’acteur, ça rendait le film plus fort. Et ça va même jusqu’à Tsai Ming-Lang ou Patrice Chéreau… Et ce n’est pas totalement faux, cela donnait une identité particulière au film. Mais on voit bien comment aujourd’hui ce système-là a fini par broyer des gens et que c’est toujours la même personne qui était broyée : pas le cinéaste, mais l’acteur ou l’actrice… La vigilance qu’on a désormais est très importante, mais il ne faut pas qu’elle se transforme en bigoterie.

Pour moi, c’est un enjeu essentiel en tant que cinéaste : être sincère sur la représentation de la nudité, de la sexualité, du désir.  Parce que c’est bien ça qui pose problème. Quand je vous disais que dans Le Lycéen, on m’a demandé de couper des scènes trop explicites car « on n’a pas besoin de savoir », « on a compris ». Le problème, c’est pas de comprendre. Un film c’est pas fait pour faire comprendre des choses, c’est fait pour partager une émotion et l’émotion sexuelle en fait partie. D’ailleurs, quand j’étais jeune cinéaste, cette question était plutôt prise en charge par des cinéastes femmes. Je pense notamment à Catherine Breillat ou à Claire Denis. Et la question de la représentation du désir était hyper importante dans les années 2000. C’est pour ça que j’ai fait ce film, Ma Mère (2004), car je voulais me confronter à ça. J’avais vraiment cette idée que je saurais quel genre de cinéaste je suis en filmant des scènes sexuelles. Et que je pourrais cerner ma morale de cinéaste. Bon après, j’ai enlevé beaucoup de ces scènes sexuelles dans Ma Mère, parce qu’il y en avait tous les jours…!  Mais j’ai bien vu l’embarras dans lequel ça me mettait, même si c’était une question essentielle. En tant que cinéaste, quand vous arrivez sur un tournage et que vous savez que vous allez faire une scène sexuelle, que ce soit entre un garçon et une fille ou deux garçons ou peu importe, la manière dont vous vous comportez sur le plateau, dont vous parlez aux acteurs, dont vous choisissez la caméra, ça dit tout du cinéaste que vous êtes. C’est sûr que là, vous ne pouvez pas tricher. C’est très important je trouve. 

Le sexe occupe certainement la moitié de ma vie. La question du désir, de comment on tombe amoureux, de l’envie qu’on a des gens, la déception, la frustration, le fait qu’après on devient vieux et gros, et plus personne veut de nous… Ça occupe quand même beaucoup notre esprit et il y a aucune raison que le sexe soit aussi absent des films. Or, de fait, il est absolument absent. Dans le cinéma américain, vous ne verrez plus une scène sexuelle, plus jamais. Tout a été Netflix-isé. Sur Netflix, il y a un nombre de séries incroyables, comme Sex Education par exemple et on trouve ça trop cool… sauf qu’on ne voit rien. On parle des choses, mais on ne voit jamais rien. Alors je trouve que c’est un vrai enjeu pour les cinéastes aujourd’hui : comment être à la fois très attentif à la manière dont on fabrique les choses mais comment ne pas céder à la bigoterie générale. Et qui d’ailleurs a toujours existé, puisque c’était déjà ça avec le Code Hays à Hollywood. Les pouvoirs politiques ont toujours voulu désexualiser le cinéma, parce qu’il a à voir avec le désir. En tant que spectateur, on sait très bien qu’on veut voir quelque chose qu’on nous cache, c’est ça qu’on aime quand on est cinéphile. Et c’est pour ça qu’on n’aime pas les films qui n’ont pas de secret. On voit bien que l’intérêt et la valeur d’un film, l’intelligence d’un cinéaste, c’est de créer un secret au cœur de son film. Je dirais que c’est un enjeu essentiel. Et pour avoir vu quelques films ici, je vois déjà que c’est un problème. Je constate que la nouvelle génération de cinéastes va être empêtrée avec ça. 

Le temps passe vite à Cannes, et on déborde déjà depuis quelques minutes sur le temps d’entretien accordé. Cette discussion à bâtons rompus, chargée de désir pour le cinéma comme le reste, propose de nombreuses perspectives pour continuer de penser les images. À commencer par celles de La Petite dernière de Hafsia Herzi, couronnée de la Queer Palm cette année. Verdict le 22 octobre prochain, dans toutes les bonnes salles…

Entretien réalisé à Cannes le 15 mai 2025