Critique | Fuori de Mario Martone| Competition (SO)
« Tu passes de la machiste à la bonne femme » constate Roberta (Matilda De Angelis) lorsque son amie Barbara (Élodie) oscille entre un discours de femme qui attend bien sagement que son mari sorte de prison et une jalousie mal placée envers Goliarda (Valeria Golino) qu’elle soupçonne d’avoir couché avec elle. Goliarda Sapienza, écrivaine fauchée car non publiée par l’intelligentsia romaine, qui a fait un séjour en prison pour larcin, est devenue leur grande amie d’une vingtaine d’années leur aînée. Les relations entre elles sont pourtant plus sororales que véritablement lesbiennes et Fuori laisse suffisamment d’espace pour ne pas tomber dans un fantasme masculin déplacé. D’hommes, il n’en est que très peu question : Goliarda a d’autres préoccupations, mettre à nue Roberta, percer son mystère, junkie au visage d’ange et au mordant qui n’en démord pas.
Film de gangsters au féminin, Mario Martone joue avec les codes du genre en y insérant une amitié féminine bien moins sujette à la traîtrise que dans sa version testostéronée. L’amitié qui s’est forgée en prison n’a rien du crime organisé. Bien au contraire, on se taillade pour faire sortir un moment une codétenue ou on se réconcilie après une baston. Et si l’on déshabille les actrices pour une douche à trois, c’est de la même teneur qu’une amie qui nous accompagne aux toilettes. Goliarda elle-même coupe court aux relents psychanalytiques que l’on pourrait concevoir de la part de Roberta, qui hait sa mère d’avoir toujours soutenu père et frère et de lui avoir fait défaut, d’être femme. D’inceste, il n’est point question : elle n’est pas sa mère. Elle a même quelque chose d’absolument enfantin lorsqu’elle se love sur les genoux de Roberta, ou quand d’autres femmes, plus jeunes, prennent soin d’elle. Giuletta Massina n’est pas loin, lorsque recadrée, on sent qu’elle ne sait plus bien ce qu’elle fait là.
Néanmoins, le film non plus finit par ne plus bien comprendre ce qu’il est en train de faire là. Si le portrait de cette femme parmi ces femmes est d’une tendresse infinie, le montage décousu en flashbacks, comme des réminiscences instantanées qui font tomber Goliarda dans une profonde mélancolie, nous fait sombrer dans l’oubli d’un film qui par moments s’enlise dans un redoublement de bontés et solidarités frôlant l’essentialisation du crime au féminin. Car les actions illégalement commises manquent de crudité (les femmes ne peuvent toujours pas faire couler le sang) et, de junkie, Roberta n’a que le teint de Blanche Neige. On y apprend que la haine est une forme d’amour, et qu’on peut faire porter à nos parents la responsabilité de toutes nos déviances. On finit par être plus proche d’une écriture de roman de gare (ici Termini) que de l’acte littéraire de Goliarda Sapienza. Reste Rome, mère de tous les mots, de toutes les images.
Fuori de Mario Martone, prochainement au cinéma