Bruit blanc

Critique | History of Sound de Olivier Hermanus | Compétition (SO)

L’histoire commençait bien. Lionel et David, deux jeunes étudiants au conservatoire, se rencontrent dans un bar un soir de fête de 1917. Un regard, un sourire, une bière, une chanson partagée — David au piano, Lionel au chant. Le film recours à l’ellipse comme représentation du désir naissant, dans ces gestes tendres que l’on éprouve plus que l’on ne ressent, comme si l’amour entre hommes devait rester à l’état d’allusion. Mais très vite, History of Sound, réalisé par Oliver Hermanus, s’enlise dans une fable queer bancale, portée par Josh O’Connor et Paul Mescal — aussi séduisants qu’inaccessibles dans leurs rôles. Une fois encore, Hollywood compose un récit prétendument alternatif avec les mêmes instruments : invisibilisation des acteurs queer avec deux têtes d’affiches glamour (et rentables !) esthétisation de la différence, neutralisation du risque.  

Lionel, jeune chanteur originaire du Kentucky, aurait pu être le cœur vibrant de cette fresque mélancolique. Mais son parcours, pourtant balisé par les grands bouleversements du siècle (la guerre, l’exil, la gloire, la solitude), reste dramatiquement lisse. Sa relation avec David, supposée porter la charge émotionnelle du film, est à peine esquissée avant d’être interrompue par les impératifs narratifs de la guerre, puis exhumée artificiellement dans une seconde partie qui manque d’une tension charnelle pourtant présente dès la scène de piano, mais surtout d’une tension dramatique, absente depuis la première minute. Le projet de collecter les chants folkloriques des forêts et des villages à la marge du Maine, n’est jamais incarné avec la force poétique ou politique qu’il mériterait. Le film ne laisse jamais la possibilité à la musique de se déployer – on nous rabâche le même air de piano (?) et la même chanson Silver Dagger. Ce qui aurait pu être une exploration sensible de la mémoire orale et de la transmission culturelle devient un simple prétexte à de belles images contemplatives, filmées avec une lenteur compassée qui confond poésie et inertie. L’évolution de Lionel, censée témoigner d’une vie marquée par un amour inoubliable, ne convainc pas davantage : ses romances ultérieures, tout comme sa carrière européenne, sont reléguées au rang d’anecdotes décoratives. On peine à croire à la profondeur d’un traumatisme que le film se contente de répéter sans jamais vraiment le faire ressentir. Même le retour final de leur œuvre commune – enregistrer sur rouleau de cire les sons et la musique folk – qui devrait être un moment de révélation ou de catharsis, tombe à plat tant il est surécrit et prévisible.

Malgré ses ambitions esthétiques – la manière de filmer le ruisseau au début du film est peut-être l’une des plus belles idées lyriques du film : la résonance de la nature et des sons — et un sujet prometteur — une histoire d’amour entre deux hommes sur plusieurs années — History of Sound échoue à faire résonner l’émotion qu’il prétend explorer. Lionel est présenté comme synesthète, mais jamais cette sensibilité ne se traduit en une réelle harmonie entre l’image et le son. Le manque de séquences simples, où l’on se contente d’écouter le monde, se fait sentir. Mais au lieu de susciter une véritable émotion, le film aligne des clichés joliment mis en scène, pris dans une narration lente et des dialogues trop explicatifs. La parole sensée circuler reste constamment au point mort, les personnages ne se parlent jamais profondément – Show, don’t tell. Ou plutôt ici : Play, don’t explain.

Chaque scène semble figée dans une esthétique de carte postale, soignée jusqu’à la stérilité. Même les moments d’intimité — rares, fugaces, et curieusement désincarnés — sont traités avec une telle retenue qu’ils finissent par disparaître derrière le voile d’une pudeur esthétique. Le sexe entre David et Lionel, à peine montrée, semble filtré, édulcoré, comme s’il dérangeait le cadre ou risquait d’en troubler la belle composition. Le corps queer est filmé à distance, sans chair ni fièvre, comme si leur désir n’avait pas droit à l’image. Le résultat : un film qui observe ses personnages sans jamais vraiment les approcher. La construction même du film, morcelée entre différentes époques, échoue à créer une véritable trajectoire. Lionel devenu célèbre choriste puis chef de chorale, traverse l’Europe, connaît d’autres histoires d’amour – avec un homme et avec une femme – aucune ne vibre. Le film affirme que Lionel reste hanté par son histoire avec David, mais jamais cette obsession ne prend corps à l’écran. Il verse bien quelques larmes lorsque son ex-épouse lui rend ses lettres, certes, mais le souvenir finit par devenir un simple motif creux, vidé de toute charge émotionnelle.

History of Sound semble vouloir parler d’amour, de mémoire, d’invisibilité, mais sans jamais risquer l’incarnation, ni troubler les représentations. À force de vouloir tout lisser – l’émotion, le désir, le conflit — il finit par tout aplanir. L’histoire se finit avec l’impression d’un film qui veut trop dire sans vraiment raconter. Entre un lyrisme forcé et une caractérisation trop floue de ses protagonistes, il finit par ressembler à ces chansons anciennes qu’il prétend sauver : belles mais oubliées, et dont la mémoire ne suffit pas à émouvoir.

History of Sound de Olivier Hermanus, au cinéma le 14 janvier 2026