Critique | La Couleuvre noire de Aurélien Vernhes-Lermusiaux, 2025 | ACID
Lorsque Ciro (Alexis Tafur) quitte subitement Bogota pour venir au chevet de sa mère mourante, il redécouvre un paysage autrefois familier : le désert de Tatacoa, en plein cœur de la Colombie, toile de fond de son enfance. Exode inversé d’un passage de la ville au rien, de l’artificiel au sauvage, La Couleuvre noire se fait l’investigation d’espaces arides, conflictuels et introspectifs, ceux du microcosme familial et des dunes désertiques de l’Amérique latine. Après la mort de celle qui semblait fédérer les uns avec les autres, Ciro part avec son père, la mère-macabé enveloppé d’un drap puis attaché sur le dos d’une mule, direction la stèle familiale pour l’ultime voyage. Mais alors que l’animal disparaît miraculeusement, cette déambulation devient une marche à plaie ouverte, où se mêlent blessures du passé, remords du présent et quête concrète d’un ancrage pour le futur. Deuxième long-métrage de son réalisateur après Vers la bataille (prix Delluc 2021), le film – timide – n’atteint toujours pas l’ambition de ses émotions, et reste aussi figé que les paysages carte postale qu’il met en scène, de la même façon que la photographie dans son dernier long-métrage n’avait d’autre symbolique que celle de l’immobilisation pour l’éternité.
Contre toute attente, la couleuvre noire n’est pas l’ennemi de ceux avec qui elle cohabite. Elle soigne, apaise, protège. Alors que la mère de Ciro souffre d’une douleur insupportable, ce dernier siffle l’appel de la mort. D’un coup d’un seul, le reptile répond, puis serpente dans la maison direction le lit, où il se glisse sous les draps avant de laisser à la matriarche le temps de son dernier souffle. Une euthanasie sauvage, orchestrée, presque magique. Plus tard, alors que Ciro et son père sont perdus et assoiffés dans le désert, en recherche désespérée de la mule et du cadavre, c’est une immense couleuvre noire, mère de substitution – rêvée ? on se le demande !!! – qui étreint le jeune homme et lui permet de trouver de l’eau. Mystique d’un animal qui, dans nos imaginaires collectifs, est une menace mais qui diffuse ici son énergie salvatrice. Usant des tonalités du conte, presque de la fable, La Couleuvre noire s’aventure dans des mythologies familiales colombiennes – Ciro dit que sa mère chantait la légende des couleuvres et qu’elle tenta de la réciter avant de mourir – pour en faire un récit de résilience. Mais malgré ce désert filmé à perte de vue et ces récits magiques, le cinéaste échoue à transmettre sa fascination pour l’Amérique latine, au profit de métaphores élémentaires et autres symboliques scolaires, sans profondeur ni singularité hallucinée.
Pourtant, le deuxième film d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux reste relativement insensible, posant à différents endroits des bribes narratives qui restent au stade de potentiel. Dans ce désert, on y sort comme on y rentre, sans que presque rien n’ait changé, qu’aucune profonde évolution ait traversé les personnages. Sauvé par des tueurs de couleuvres qui passaient par hasard dans ce bout des dunes, le père et le fils continuent leur route et finissent par retrouver la mule et enterrer la défunte, l’air de rien. Le film est tourné et adressé à la jeunesse, aux nouvelles générations qui ont la charge de perpétuer le mythe, continuer de faire vivre les légendes familiales. C’est ainsi que, de retour dans le village, Ciro retrouve une jeune gamine qu’il présume être son enfant biologique (on comprend facilement que ses besoins financiers l’ont conduit à rejoindre Bogota, se séparant de son amour de jeunesse et de cet enfant), à qui il donne un bracelet-couleuvre appartenant à sa mère. Puisque le désert ensevelit tout, les objets restent la seule façon d’offrir notre histoire ? Lourdeur d’un symbole qui souligne grossièrement ce processus de transmission. On demeure déçu, sur notre faim, de La Couleuvre noire qui, comme les dunes, est à nos yeux impénétrable et friand de procédés d’écriture normés, codifiés, à l’encontre d’un cinéma aussi libre et purifié que les grands espaces pourtant filmés.
La Couleuvre noire de Aurélien Vernhes-Lermusiaux, prochainement en salles