Critique | La Petite dernière de Hafsia Herzi | Compétition (SO)
Elle s’appelle Fatima. Fatima ne sait pas encore qu’elle est lesbienne. Elle découvre son identité au fil des saisons. La petite dernière, troisième long métrage de la réalisatrice (et actrice) Hafsia Herzi est inspiré du roman éponyme de Fatima Daas paru en 2020. Fatima (Nadia Melliti), jeune femme musulmane est tourmentée entre sa foi et son désir naissant pour les femmes. Dans le texte de Daas, l’écriture fragmentaire reflète l’intériorité de Fatima, tiraillée entre les injonctions de sa religion et l’irrépressibilité de ses désirs. Dans le film de Herzi, sa mise en scène sensorielle réussit à retranscrire cette complexité à l’écran, notamment par des plans resserrés qui capturent l’angoisse intérieure de Fatima.
Fatima porte son attention exclusivement sur les femmes, et pourtant tous ses amis sont des hommes – première marque d’ambivalence. Jamais elle n’est traitée de « garçon manquée » mais plutôt de « sale lesbienne » par un camarade homosexuel qu’elle harcèle au début du film – premier pas langoureux dans l’homophobie intériorisée. Malgré tout, elle ne semble jamais se détester, pas entièrement, portée par une foi présente dans des scènes de prières sublimes. La scène d’ouverture donne à voir Fatima en abaya, sa tenue de prière, de dos dans un clair/obscur accompagné de paroles incantées en arabes. Les choix de mise en scène soulignent cette dualité constante, vie de famille dans la cuisine le jour, existence queer la nuit. La prière qui s’éloigne de soi. La foi comme espace de réconfort mais aussi de conflit. Ses choix (choisit-on vraiment vers qui notre désir nous porte ?) la contrarient, l’empêchement de prier même. Le désir se relâche, la religion étouffe. Elle donne des crises d’asthme dans cette impossibilité de concilier les deux. Selon l’imam qu’elle va voir pour « conseils à une amie », il lui dit avec sérieux que l’homosexualité feminine – qui attouche, est quand même haram mais toujours moins que l’homosexualité masculine – qui pénétre). Deuxième marque d’ambivalence – une logique variable.
Toutes les femmes ne veulent pas être des princesses. Fatima s’habille à la garçonne, elle porte des maillots de foot et des baskets, cachée derrière sa casquette qu’une de ses dates lui dit d’enlever pour mieux voir « son beau visage ». Fatima est belle, oui. Elle est de ces beautés silencieuses, dans un coin de pièce qui scrute. Femme de peu de mots, sourire discret et rare. Le charme d’une identité naissante, timide dans une soirée parisienne qui éveille les sens.
Fatima tombe amoureuse au printemps, elle a le cœur brisé à l’été, elle explore sa sexualité l’hiver, là où les corps se dévoilent à peine, puis elle retombe amoureuse au printemps. Le cycle d’une année où le désir prend forme. Fatima trouve refuge. Les scènes de fêtes sont filmées dans de vrais lieux queer parisiens (avec de vrai·es artistes Queer !) : le Rosa Bonheur et La Mutinerie, lieux lesbiens historiques. Le film ancre l’éveil de Fatima dans cette géographie communautaire à la fois joyeuse et déroutante. Quand Claude-Emmanuelle commence son set DJ en criant « vive les lesbiennes », Fatima souris et embrasse une amie. La joie mène à la fierté, à cette marche au retour du printemps dans les rues de Paris. Premier souffle – de liberté.
Crises respiratoires déclenchées par les émotions fortes, le souffle de vie affecté par ce qui nous traverse, nous émeut — dans le sens de se mouvoir et de ressentir. La Ventoline toujours sur soi, au cas où un djinn malicieux viendrait perturber l’air. Fatima fume, oublie souvent son traitement, comme si prendre soin d’elle-même n’était jamais prioritaire. Un refus inconscient de se protéger, peut-être un rejet de soi latent, ou la volonté de tester les limites de sa propre résistance. La musique d’Amine Bouhafa épouse son souffle, rythme le film, balbutiements incertains, poumons à peine déployés. On commence à toucher du doigt ce que serait une vie sans Ventoline, un souffle enfin libre, où le désir et l’identité s’assument pleinement.
Elle s’appelle Fatima. Elle est lesbienne. Vive Fatima ! Vive les lesbiennes !
La petite dernière de Hafsia Herzi, au cinéma le 1er octobre 2025