Critique | L’aventura de Sophie Letourneur, 2025 | ACID
L’aventura met fin à un malentendu autour de Sophie Letourneur, par l’abandon des contours les plus généreux de son cinéma. Le film est une fausse suite de Voyages en Italie, ou plutôt sa récidive : Jean-Philippe, Sophie, et la Sardaigne (c’était la Sicile). L’enfant n’est plus hors-champ, c’est l’élément qui domine le cadre et la matière sonore ; en fait ils sont deux, Claudine est l’aînée pré-adolescente de Raoul, 3 ans. C’est elle qui se charge de la narration, et qui rend plus visible que jamais le dispositif de la cinéaste : à l’aide d’iPhone posés dans chacune des scènes au milieu des personnages, on prend des notes vocales faisant office de récit de vacances, capturant chacun et surtout les moindres détails.
De nouveau, Sophie Letourneur témoigne qu’elle est une mordue du réel. Elle met en scène son goût prononcé pour ce qui advient dans l’ordinaire : un temps couple, puis vacances + couple, maintenant vacances + couple + enfants – sans se substituer à la logique d’actions et de péripéties de la fiction traditionnelle, elle considère cependant que la vie telle qu’elle est vécue fait événement en soi. C’est l’un des effets produit par la narration enchâssée : en forçant par la parole une reconstitution minutieuse et détaillée, chaque détail apparaît dans une chaîne de consécution aléatoire et reproduit une journée en famille en Sardaigne en un chaos brut. Ce montage fait apparaître le film plus long qu’il ne l’est, les situations quotidiennes ainsi enchaînées transmettent l’épuisement de la parentalité vers le film, et participent à une radicalité d’approche minutieusement calée sur le tempo du réel : le souvenir ne pouvant pas se contenter d’une trame narrative, sa restitution est parcellaire, elliptique, et ne souffre d’aucun agencement logique.
L’organisation des cadres est en revanche d’une grande précision picturale : les voix et les bruits toujours multiples sont répartis dans l’espace, obligeant l’oreille soit à se fixer soit à abandonner tout sens, comme dans une peinture de moeurs qui oblige le regard à vagabonder ; et la composition à l’image est la très grande dés-ordonnatrice du film, autant épouse des corps éprouvés par le bruit ou alités par la chaleur, que de l’organisation des rapports intra-familiaux (ça produit un documentaire autonome dans l’image : quid de la relation entre Jean-Phi et Claudine, de la relation entre Claudine et Raoul, de la relation entre Raoul et Sophie, etc.).
Mais c’est d’abord beau. Aux antipodes de son homonyme italien, L’aventura n’a pas la facture d’un « grand film » : pour mettre en scène la faillite du couple, le voyage intérieur et romantique d’Antonioni échoue face à la vérité crue de Letourneur. Pas un « grand film », et c’est pour le mieux.
L’aventura de Sophie Letourneur, prochainement en salles