Critique | Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, 2025 | ACID
Au lendemain de la sélection de Put Your Soul on Your Hand and Walk à l’ACID, sa protagoniste, la photojournaliste palestinienne Fatma Hassona, est assassinée lors d’un bombardement israélien à Gaza. Au début de l’année 2024, quelques mois après l’intensification des massacres de la population civile dans la bande de Gaza, la cinéaste Sepideh Farsi, privée d’accès au territoire, entre en correspondance vidéo avec Fatma. Sous la forme d’un journal filmé par écrans interposés, la cinéaste emprunte les yeux de Fatem et construit avec elle ce film comme une « réponse en tant que cinéaste, aux massacres en cours des Palestiniens », dans lequel résident des traces mémorielles éminemment et urgemment politiques.
Prêter ses yeux
L’image est leur point de rencontre, au croisement de l’exil. L’une filme, l’autre photographie. L’une a quitté son pays (l’Iran, quarante ans plus tôt), l’autre est immobilisée dans le sien. Faute de pouvoir filmer à Gaza, la cinéaste enregistre les conversations saccadées sur l’écran pixelisé de son téléphone. C’est par celui-ci que le lien se tisse, au travers d’une fragilité technologique faite de bugs et de connexions instables. Fatma Hassona partage ses poèmes et images de la ville, puis l’on zoome sur le gris des gravats et les ruines des bâtiments détruits, sur les morceaux des corps morts ou abîmés. « Tu vas souffrir avec moi maintenant… ». De l’autre côté de l’écran, son sourire désarçonne, porte la fierté d’être palestinienne, l’espoir de pouvoir faire quelque chose pour Gaza, l’espoir de continuer à vivre, même sans jamais vraiment s’y faire.
Le monde hors de Gaza
Du côté de la caméra, Sepideh Farsi accompagne son film La Sirène de festivals en festivals, aux quatre coins du monde, et téléphone à sa correspondante depuis une chambre d’hôtel ou un salon calme. À chaque échange, elle opère entre chaque mot une tentative de soin à distance, pose de nombreuses questions pour s’assurer que tout va bien. Or, les bombardements retentissent en hors-champs, la nourriture manque, les deuils s’accumulent. Filmer depuis l’exil revient alors à enregistrer cette fracture. L’impossibilité d’aller ailleurs. Dans l’attente de l’appel suivant, la sonnerie dans le vide, le reflet de l’incapacité de la société occidentale.
Un lieu à soi
Face au sentiment d’impuissance de l’une, l’autre la rassure sur l’importance de son écoute, de sa présence. Farsi regarde Fatem documenter Gaza et la documente à son tour. Au fil des mois, son sourire se fige, ses yeux se vident, la fatigue transparaît dans des moments d’absence – de dissociation. Sa mémoire se fixe, numérique, sur le flou de l’écran, derrière un simulacre de proximité, et sa voix, comme lutte, dans l’espoir impossible d’un jour, un lieu à soi.
Sepideh Farsi place sous les yeux de l’Occident, qui ne doit pas détourner le regard, le génocide commis par Israël contre la population gazaouie. L’âme de Fatma Hassona, au creux d’une main, demeure pour toujours l’œil de Gaza, une empreinte portée par Put Your Soul on Your Hand and Walk qui redouble d’actualité – l’illustration même de ce qu’il condamne.
Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, prochainement en salles