Le deuxième sexe

Critique | Woman And Child de Saeed Roustaee | Compétition (SO)

Dans l’appartement vidé de ses enfants pour accueillir la future belle famille de Mahnaz (Parinaz Izadyar), cette dernière est cadrée de loin, prise en étau par le surcadrage créé par la vitre transparente où elle a l’habitude d’écrire des équations pour aider ses enfants. Isolée du groupe qui décide des préparatifs de son mariage auquel elle n’a consenti que par amour pour Hamid (Payman Maadi), désireux à quarante ans de fonder la famille que son père a toujours voulu pour lui avant que celui-ci ne meure. Premier drame, un échange de regard entre son fiancé et sa jeune sœur de vingt ans sa cadette, lui aussi isolé par des cadres de fenêtre, laisse à présager une liaison. Le lendemain, la mère demande des nouvelles à sa famille puisque celui-ci ne répond plus, les deux sœurs cachées chacune derrière une porte à gros vitrail : il veut se marier avec la cadette. S’ensuit un enchaînement de deuils pour Mahnaz, qui auraient pu peser de toute leur lourdeur sans l’intelligence de la mise en scène de Roustaee.

Le foyer a une économie propre, système mis en place par femmes et enfants, dont les hommes s’excluent eux-mêmes, par leur violence, par leur désintérêt profond pour l’attention que requiert la vie de famille. Scène liminaire, Mahnaz sort de chez le coiffeur avec une coupe courte sur laquelle Hamid émet un compliment tout en y ajoutant une réticence. D’anecdotique, le contrôle et la manipulation psychique devient un outil de gaslight pour la faire passer pour inapte à s’occuper de sa fille Merhi (Soha Niasti), alors même qu’elle s’en est occupée huit ans sans l’aide de personne sinon sa mère et sa sœur. « Tu ne voulais pas une femme et un enfant mais une femme-enfant que tu puisses contrôler. ». Désir de pouvoir sur une maisonnée pourtant régie par ses propres lois. 

Le statut du fils, futur homme, est à ce titre intéressant. Une séquence particulièrement, où l’argent reçu par sa grand-mère pour faire ses devoirs d’anglais à sa place est très mal reversé à sa petite-sœur externalisée : elle touche seulement 20% pour faire les siens et ceux de la grand-mère. Les 80% restants serviront à investir dans un autre système économique, celui de l’école des apprentis, pour miser sur des jeux d’argent. Véritable réseau capitaliste fomenté par lui, le fils fascine tous ceux qui le fréquente tant il fait régner sa propre loi. Du haut de ses quatorze ans, il drague une collègue de sa mère à l’hôpital, se permet de clamer un droit de regard sur la vie amoureuse de celle-ci tout en faisant d’elle la Mère toute puissante, toute amour. Parangon de virilité misogyne en puissance, il fait pourtant encore partie de la gynécée qui lui octroie les pleins pouvoirs. Le mâle vient aussi de l’intérieur. 

Là où le film ne tombe pas dans la surenchère, c’est que le portrait de la mère qui eût pu tendre vers une hystérisation, reste toujours à hauteur de son deuil, sans jugement sur ses excès de colère marquant simplement la douleur inénarrable qu’elle vit. Reste l’amour inconditionnel qui maintient le récit hors des eaux noires de la fatalité. La mise en scène de l’espace joue des voilages pour opacifier l’ambivalence des relations qui ont la beauté de leur non-dits. Les différentes pièces de l’appartement déterminent la circulation des affects, qui traversent tout un chacun·e. La plus belle conclusion politique immanent de ce drame social, que Roustaee construit uniquement à travers des regards échangés au travers des différentes pièces de la maison est celle de la confiance impérative qu’il faut avoir en l’autre, contre les désirs égoïstes et individualistes ultra exacerbées par la modernité. Là où le drame aurait pu surgir une énième fois de la surenchère dans la violence et la vengeance, la vie reprend le dessus, entre une femme et un enfant.

Woman And Child de Saeed Roustaee, prochainement au cinéma