Brèves du Réel 1

Critique | Brèves du Réel | Cinéma du Réel 2025

Top départ pour cette 47e édition du festival international du film documentaire qui, cette année, se déploie hors de son habituel Centre Pompidou, en constellation, à l’image des visions qu’elle souhaite convoquer ; des marges, des révolutions ; dévoiler des possibles, d’autres regards, tas de brèches à ouvrir. Des futurs désirables ? C’est à croire, un souhait. Ce sera déjà des contre-récits, des contre-offensives. Pour habiter le trouble, que peut faire le Réel ?

Ancestral Visions of the Future – Lemohang Jeremiah Mosese
(Ouverture)

Quand la matière magnifique d’un souvenir, d’une enfance, d’un espace géographique rarement filmé comme le Lesotho, se retrouve coincée dans un gâchis d’artifices visuels et sonores, elle se détruit instantanément au profit d’idées vagues, d’un geste qui, se souhaitant personnel, se retrouve fade, pâle et tape-à-l’œil. C’est tout un imaginaire symbolique – un vague vernis de politique – que Lemohang Jeremiah Mosese tente d’imbiber dans son nouveau film. Malgré lui, l’objet final n’a pas l’ampleur de l’ambition ; celle-ci qui pourtant avait tout pour frapper fort : des fragments d’onirismes, des détails d’un passé colonial sordide oublié, de la poésie à revendre, somme toute de belles intentions perdues dans les marasmes de l’esthétisme et de la détestation de ce qui ne peut se contrôler hors de la rouerie propre aux spectacles.

Tout ça parle beaucoup et voit bien mal.

Figé·es dans l’attente des ombres et du tapage, un épuisement, le nôtre. Les strates ne suffisent pas, l’espoir reste dans les cieux, et les couteaux dans le dos. Continuer de ramasser les pots cassés pour chercher l’ailleurs. Maintenant, et avant que les mouches ne dévorent nos yeux, il faut les planter, et tout voir. 

A.C. & A.G.

Mills of Time – Pauline Rigal
(Compétition)

Restaurer des moulins qui ne tournent plus, geste absurde que capture Mills of Time au travers des mouvements répétés de Philip et Tristan qui creusent les rigoles et débroussaillent, outils en main, cadences accordées. D’un cadrage à l’autre, fixes toujours, une durée pleine s’installe, bercée par la rivière, nos pensées en écho. Prendre soin, mais alors pour qui ? Des actes de labeur comme des formes de mémoire, des rituels pour maintenir vivant ; une résistance discrète à l’oubli. La transmission se fait dans un silence confortable, un dialogue muet rythmé par le fer et les fredonnements, dans l’attente de la fin de l’orage. Les pierres sont déplacées pour que l’eau coule enfin, la terre s’imbibe, l’apaisement continue face aux traces d’un travail à perpétuer. Pauline Rigal inscrit l’autonomie d’un instant, puis nous laisse au milieu. L’inachevé, splendide, incertain, persiste jusqu’à faire vaciller le fondu : feindre l’effacement pour mieux s’en dérober.

A.G.

Evidence – Lee Anne Schmitt
(Compétition)

L’entreprise Olin Corporation et la fondation John M. Olin ont un lien étroit avec la cinéaste ; son père y était employé. Ces deux poids synthétisent parfaitement le virage radical et ascendant du milieu idéaliste, conformiste, réactionnaire de la bourgeoisie américaine, fanatiquement religieuse, intrinsèquement polluante et socialement régressive. Très loin d’être un hommage, Evidence se propose en une étude de l’intime, une recherche de soi que Lee Anne Schmitt installe par l’anecdote de petites poupées venues du monde entier et la réflexion matérialiste de ses lectures, de ses savoirs factuels sur son pays. C’est une contre-attaque intrigante et esthétique à l’idéologie néo-libérale qui, de sa mainmise sur l’humanité, porte mille confusions sur nos dignités individuelles. Par ce film très personnel, le retour à l’intime dépeint cette nécessité collective qui disparaît dans le creux des hauts discours. Elle n’y questionne pas la patrie, mais la famille. Le petit vainc le grand. Et le mystère du titre questionne ; est-ce l’évidence d’un nihilisme obligatoire ? Sans doute pas. L’évidence, c’est le rapport à soi, à nos corps, à nos êtres. C’est ce constant besoin de s’observer, de s’intriguer, s’interroger sur tout (et constamment) ce qui nous entoure – les structures. Evidence, c’est l’évidence structuraliste qui prend aux tripes de vérités, une fois seulement l’axiome formé.

A.C.

Les cassettes de Rachid Djaïdani
(Séance spéciale)

Dans le cadre de la résidence « rushes de cinéastes » au Centre Pompidou, Rachid Djaïdani explore les fragments de sa propre existence : entre 700 et 900 heures d’images collectées depuis le début des années 2000. Caméra DV à la main, il accumule tout, chaque détail de son quotidien, des bouts de conversations dans la cuisine aux pensées sur la vie en bord de route. En filmant ses amis et sa famille, à Carrières-sous-Poissy comme dans le RER, au travail comme à la boxe, il élargit les récits, intègre ceux de la périphérie et préserve l’imperceptible du commun. Dans cet acte de filmage réside une urgence, celle de conserver les présences fragiles, alors il faut archiver, tout, continuellement. Ce montage compulsif n’est qu’un premier ours, un énorme « grizzly » ; et la suite sera immense ! 

A.G.

Rezbotanik – Pedro Gonçalves Ribeiro
(Première Fenêtre)

Là où le Jardin Botanique de Lisbonne se transforme en salon de décompression, l’artiste vagabonde de Rezbotanik récupère de ses soirées festives. Le film de Gonçalves Ribeiro se mêle au regard de son personnage et laisse, d’un psychédélisme dominical, les feuillages prendre tout le cadre, empiétant les espaces aérés, l’oxygène nécessaire. La limite esthétique de Rezbotanik réside dans son incessante voix off qui explicite ce que les rameaux fournis montraient déjà. Les sensations de ces lendemains n’avaient pas tant besoin de mots que de silence ; malheureusement, ce dernier ne saura exister dans le Jardin de Lisbonne – la quête d’un ciel hors le produit d’une ivresse.

A.C.

En traversant les rêveries d’une caméra super 8, la matière filmique devient poreuse, et de ces trous, des divagations. Rezmorah erre un dimanche matin, comme les autres, au jardin botanique, réceptacle habituel de ses élans de réinvention. Autant de plantes que de désirs, l’espoir diffus de quelque chose d’autre, d’un pluralisme (pas de « non- », ni de « bi » !). Les grues elles-aussi prennent racine, pendant que la pellicule coupe l’arbre, les corps font fleurs. Sur les notes de Mort Garson, germer encore un peu, se décentrer, observer entre l’image suivante. 

A.G.

Monólogo Colectivo – Jessica Sarah Rinland
(Compétition)

Par quelques zoos argentins, Jessica Sarah Rinland s’approche des bêtes et de leurs traitements au cœur d’un environnement humain, guettant les tendresses et les contrôles, les alimentations et les communications infantilisantes. Nous les voyons en cage, derrière les grilles, derrière les murs, ou en caisse, au moment de les peser. Elles errent dans leurs enclos, promenant le vide de leur condition, pleinement contraintes de ce partenariat avec l’humain, de cette entraide originellement hiérarchique. 

Les animaux sont ces enfants qui subissent les monologues adultes. Dans un zoo, jamais le collectif triomphe ; tout est biaisé d’entrée. Dialoguer, s’occuper, travailler, l’ambiance réside sous le règne du simulacre constant de liens, nulles connections aux animaux hors de la tête de celles et ceux qui le rêveraient.

Éclairés par la lueur d’une lampe torche ou scrutés sur des écrans de surveillance, ils sont de ceux qui n’échapperont pas au regard humain, au zoo comme dans la salle de cinéma, toujours de l’autre côté de la cage. Y mettre feu est une bien belle ambition, or, en figeant ces rapports asymétriques à l’écran, le geste cinématographique, malgré la bienveillance de son regard, enferme à son tour.

A.C. & A.G.