Critique | Balane 3 d’Ico Costa | Cinéma du Réel 2025
Tout commence dans un bleu gorgé de grains, l’horizon vêtu d’un ciel, d’une baie, un bateau en son centre. Chaque séquence a son plan fixe, la vadrouille des corps et des paroles s’y trouve libre. Balane 3 est un quartier d’Inhambane, une ville du Mozambique ; tout le film s’y passe tel un portrait de ses habitant·es, de ses travailleur·euses, de ses humeurs, de sa culture, son énergie. On y navigue dans le hasard, dans l’incertain de l’inconnu. Tantôt de l’oisiveté, tantôt un boucher ou un salon de coiffure, tantôt un four à pain ; ce sont des plans sur l’extérieur et des sportifs, ou bien sur l’intérieur et des familles ; c’est un peu tout, un peu pittoresque, touchant et parfois terrifiant ; ce sont des humains.
Il y a des hommes qui, comme partout dans le monde, parlent mal des femmes, et puis des femmes qui, comme partout dans le monde, se lamentent des hommes. Et comme partout dans le monde, c’est une logique patriarcale. Il y a des hommes qui sont tous pareils dit l’une des femmes. Dans l’un des plans, des hommes, par quelques analogies, tentent de communiquer, autoritaires et misogynes, autour de femmes mutiques devant ces métaphores douteuses. Aussi dingue que formel, tout s’y trouve clair.
Et puis des hommes se traitent de chiens. Et puis d’autres hommes discutent des blancs, et puis un autre énumère ses douleurs, ses souffrances au dos, dans le bas et à la nuque, et sa myopie, ses insomnies ou ses angoisses comme quelques potentielles tumeurs. Mais il y a aussi une bagnole qui, coincée par ses pneus, n’avance plus et un réparateur d’écrans qui, entre ses poules, répare au sol quelques boîtiers ; un groupe de musique qui répète ; des haltères qui se soulèvent ; des chansons qui résonnent et des danses qui percutent. Il y a des pêcheurs, des basketteurs, deux femmes enjouées par un karaoké et un repas devant une série. Finalement, il y a absolument tout comme absolument partout ailleurs, mais dans un cadre qui, à bien y observer, résonne plus pauvre qu’un autre, un cadre où les locaux de quelques médecins ne semblent pas bien configurés ; un cadre avec des hôtels pour touristes occidentaux mais pas de vitrine pour le coiffeur ; et puis le champagne qui ressemble grandement à un Orangina.
Et puis il y a encore des jeunes hommes et encore des jeunes femmes, mais cette fois (sans doute la seule de tout Balane 3) filmé en plusieurs plans. Scindé·es par la séquence, le champ est aux garçons et le contre-champ aux filles. C’est une séquence muette où l’un d’eux s’approche de l’une d’elles, et où la caméra reste à distance, même en gros plan. Car le silence est roi, tout passe seulement par les visages, les corps gênés, les rires folâtres, les embarras et les gaucheries.
Le film n’en dit pas plus. Un tag notant que jusqu’ici survivre nous a empêché de vivre apparaît vers la fin, mais sans toutefois indiquer quoi que ce soit de plus. Il existe, c’est tout. Alors on ne sait jamais ce que le film nous dit, ni où il va, et à la fin, on le remercie pleinement pour ça. Car il nous montre, et ce qu’il montre est magnifique ; ce n’est pas grand chose, mais c’est déjà beaucoup ; des couleurs, des formes et du soleil sur des mouvements, des tenues, des paroles ou des gestes ; des humains qui habitent un quartier. Pas de personnages, juste un ensemble d’individus. Et puis à l’arrivée, de nouveau un bateau, un bleu, une baie, des grains pour une nouvelle navigation. De cette manœuvre, toujours la vie continuera d’être surmontée.