Trouble de la fixité

Critique | In the Manner of Smoke d’Armand Yervant Tufenkian | Cinéma du Réel 2025

La fumée se propage sur la forêt. Du haut de la tour de guet, chaque geste est précis, les outils, la mesure, Mich Michigan transmet son savoir au prochain guetteur. Armand Yervant Tufenkian oscille, un décalage entre temps présent et temps zéro. Et puis maintenant, il faut observer chaque petit point sur cet horizon mobile de possibilités. L’on zoome sur les sapins, dans la nature comme dans la peinture ; des carrés, des rectangles, des photos floues sur le départ, dans une errance intérieure et dans la ville, avec autant de présences incertaines. Fixer le regard.

La fumée se propage sur la solitude du guetteur. Elle est accompagnée de grésillements et de voix radiophoniques. Pour se sentir moins seul, parfois, il parle : c’est réconfortant de sentir que personne n’entendra jamais — de laisser un écho qui file le long des rubans, dans un urgent désir que quelque chose se passe, de voir le feu arriver. Dans l’interstice du regard, un lien relationnel réside, entre le néant des nuées et les traces de la nature. Fixer l’attente.

La fumée se propage sur la toile. Le feu s’y imprime en pointillé sous les coups de pinceaux. In the Manner of Smoke, film intermédial, entrelace les supports et les matières : la pellicule, les photos imprimées à la radio, la webcam à la peinture. Fixer les images.  

La fumée se propage sur l’écran de surveillance. D’un mouvement circulaire, le dispositif prend place avec le sentiment d’être observé. Il faut désormais s’infiltrer dans l’attente du prochain coucher de soleil et de l’arrivée de la lune. Avec le départ de ceux qui guettent. Qui reste-t-il pour regarder ?