Journal de bord | The White Lotus saison 3 (5/8)
À l’amour ! Tel est le toast que portent nos nouveaux amis à la soirée qu’ils passent avec les trois copines blondes, qu’elles répètent dans un russe approximatif, avant de s’en tenir à l’approximation phonétique « Shia LaBeouf ». Avec ce cinquième épisode, The White Lotus déroge à sa propre règle, et suit seulement la soirée mouvementée du personnel de l’hôtel. Et il faut le rappeler, encore et encore certes, mais il n’y a pas de grandes idées dans les textes sans grandes œuvres. Car tous les arcs développés dans cet épisode prennent une tournure exceptionnelle, faisant de la coïncidence une grande question philosophique : peut-on l’élever à un degré métaphysique ?
Révélations
L’exception au principe de la série (un épisode = une journée ; abandonné ici pour une soirée) se retranscrit tout d’abord dans les lieux investis par les personnages : les boîtes de nuit sont privilégiées par le groupe d’amies ainsi que par les deux frères accompagnés de Chelsea et Chloe, le reste de la famille Ratliff se retrouve au restaurant dans une nouvelle dynamique en l’absence de Saxon et Lochlan, Rick se rend enfin à Bangkok… La rupture avec le rythme diurne de l’activité humaine donne ainsi aux personnages un potentiel de subversion, comme pour briser leurs apparences et habitudes normées du quotidien, dans un cadre extra-quotidien donc. C’est pour cela qu’on se drogue uniquement en soirée (bien que Saxon, fidèle à son entrejambe, voit cette consommation d’un mauvais œil avant de succomber, dans un calcul tout aussi séducteur), c’est à cette heure seulement qu’on peut rencontrer des gens qui ne croiseraient jamais notre route en temps normal (des russes douteux, mal habillé et traumatisés)…
Le montage alterné de ces multiples péripéties essaie de faire monter des tensions de différente nature : sexuelle pour la plupart, familiale avec la fille Ratliff qui annonce à ses parents vouloir vivre en Thaïlande, Gaitok qui échoue à récupérer son arme… Cette proposition de montage, plutôt banale, demeure assez balourde, d’autant plus qu’elle s’ajoute à une musique légèrement cynique, créant une sorte de distance moqueuse entre les fêtards et le spectateur, franchement dispensable. Elle accouche tout de même d’un résultat satisfaisant quant aux révélations faites durant l’épisode, qui découlent naturellement du cadre exceptionnel employé par les différents décors. La plus parlante concerne sans aucun doute Frank, l’ami que retrouve Rick, et qui lui révèle avoir définitivement déménagé ici pour son penchant pour les lady boy, avant de se découvrir un plaisir voyeuriste et homosexuel passif, révélant au final un fantasme d’auto-sexe narcissique, qui l’a conduit ensuite à une révélation mystique, dédoublée d’une abstinence totale sur tous les fronts. La confession vaut surtout pour le regard ébahi en contre-champ de Rick. Même regard vide et perdu qu’aux épisodes précédents, qu’on ne peut s’empêcher de voir ici rempli d’une certaine jalousie naissante envers le courage et la liberté de son ami. Lui, est capable de tels aveux, de sincérité.
Lotus Blanc érotique
Cette scène pour le coup totalement inattendue nous conduit à une hypothèse : et si l’épisode 5 de la série était une métaphore que l’on pourrait déployer à The White Lotus en général, qu’il faudrait en réalité considérer comme un (très long) film érotique ? Théorie renforcée par la tragédie existentielle que traverse Timothy Ratliff, et qui en dépit d’un surplace scénaristique lancinant, se voit reconsidérer sa situation sociale de manière permanente, sans que l’on n’accède à ses pensées. Le désir de déménagement de sa fille ne lui offrirait-il pas une porte de sortie ? Il ne serait pas le premier résident à fuir un passé houleux avec la justice, ni le premier américain à fuir son pays (on peut toujours devenir réalisateur en Europe paraît-il).
La séquence finale, dans laquelle il écrit ses derniers mots et s’apprête à se suicider avant que sa femme ne l’interrompe, pèse en faveur de cette conjecture. Alors que la tension sexuelle est à son maximum (les quatre jeunes adultes sur le yacht s’embrassent à tour de rôle, l’un des russes retrouve l’une des amies…), on s’imagine que le seul coup tiré de l’épisode sera celui d’un pistolet. Mais non : il range l’arme, et se retourne vers le Seigneur, dans un geste qui le rapproche de sa fille. Puissance de la parole et de l’imagination, déception du visible et du graphique (et cela vaut pour le cinéma comme pour la religion). Considérer The White Lotus comme une série érotique permet aussi de relancer notre questionnement quant à la première moitié de cette saison : au lieu de la voir comme un pas assez quelque chose, et si elle n’était pas trop érotique ? Les coïncidences rencontrées pendant les vacances mutent en effet vers un sursaut métaphysique faisant tomber les apparences sociales, qui donne l’impression que ce qui arrive maintenant aurait un sens profond. Rien à voir avec une situation achetée des dizaines de milliers de dollars sur un site de réservation d’hôtel six mois auparavant… Bref, The White Lotus est bien de retour. À l’amour !
The White Lotus saison 3, à partir du 17 février 2025 sur HBO Max