Critique | Un Pays en Flammes de Mona Convert, 2025
Sa facture formelle frappe pour les glissements de sens qu’elle produit. C’est une trahison préliminaire : Un Pays en Flammes est humide, boueux. Contre la promesse de l’image, la matière du film est d’abord des bruits : on y entre par une obscurité totale, et l’on s’y repère par une orchestration d’insectes de nuits, de croassements, de pas dans les marécages, ou par tout un attirail métallique qui se frotte à des écorces d’arbres. Bien avant que ne vienne le feu, des frontales vont éclairer le paysage par bribes, faisant apparaître moins une faune précise qu’un fantasme de pays (c’est les Landes, mais ça pourrait alors être aussi bien le comté fictif de Faulkner). Quelques flammèches surgissent comme des abstractions au milieu de la nuit, comme des éléments merveilleux ; on se croirait chez Apichatpong Weerasethakul, et c’est moins un cliché de le faire remarquer qu’une véritable communion de méthode. Enfin, les feux d’artifice : un ballet aérien éphémère, lointain, presque instantané, mais musical, tiré par deux séries de volées. On tisse le fil narratif : les amorces ont été posées, le spectacle peut commencer. Et à l’exception d’un court segment diurne, construit autour du dépeçage d’un sanglier, Un Pays en Flammes sera tout entier la monstration des expériences spectaculaires d’une famille d’artificiers, monté autour de deux valeurs de plans cherchant à créer une dialectique entre les visages des alchimistes (en plans très serrés, éclairés plein phare par d’agressifs projecteurs ou à même le reflet des flammes) et le pays landais autant défiguré que révélé par les expérimentations des protagonistes (en plans larges et sans exposition autre que celle induites par la pratique pyrotechnique).
La cinéaste éprouve ce titre polysémique, d’abord en le ramenant vers une relation primitive à l’image en mouvement. La narration s’efface au profit d’un parcours dans l’espace, qui force la cinéaste à penser l’image en peintre : non pas par une science dans la composition des cadres, mais par un goût de ce qui dans l’épreuve de la caméra fait matière. C’est d’ailleurs dans un jeu permanent de redéfinition de ce qui fait cadre de cinéma, permis par la beauté unanime et enfantine du théâtre pyrotechnique, que Mona Convert s’amuse et redéfinit en direct notre rapport au regard et à la narration. L’on se retrouve donc en pleine osmose avec le pays peint par la réalisatrice, excité par une question unique : d’où son feu va-t-il surgir ? Question qui trouve son apothéose dans un dernier segment qui fait décoller le film vers d’autres dimensions, métamorphosant le feu d’artifice en manifestation sauvage, en messe clandestine qui trouverait ses racines entre fêtes révolutionnaires archaïques et mouvements contestataires contemporains. Le scat de Bernard Lubat, sidérante participation musicale qui fonctionne comme des ecchymoses gonflant notre rapport à l’image, parachève la mutation de ce documentaire sur le feu vers un rite pseudo-religieux et anarchiste.
Un Pays en flammes de Mona Convert, en salles le 30 Avril 2025