Critique | Bonjour la langue de Paul Vecchiali, 2025
« J’ai arrêté d’écrire » annonce t-il dans le flux de la discussion. Comment sortir des ordres ? Ne pas reproduire les règles ? Comment réinventer les œuvres et, par-là, le cinéma ? Les tentatives d’innovations formelles ont toujours été au centre des créations de Paul Vecchiali et, constamment au cœur d’un questionnement plus large sur la place de l’artiste – première similitude godardienne –, il liait l’art à la forme obligatoirement nouvelle, éternellement renouvelable.
Dans une continuité à Trous de mémoire (1984), où l’improvisation d’un duo d’acteurs (dont Vecchiali lui-même) était principal trait formel de la proposition, Bonjour la langue se constitue de manière analogue. Accompagné cette fois par Pascal Cervo, le cinéaste, vieilli, assis, flouté dès le premier plan, convoque instantanément quelque chose de fuyant, de déjà loin, déjà ailleurs. Tout n’y sera pas maîtrisé car tout y sera gorgé de spontanéité : trois seules séquences de dialogues d’où l’improvisation travaillera la matière même de la langue, reprenant ainsi le dessus sur les idées. Ainsi des mots et des corps feront ensemble œuvre – ultime œuvre vecchialienne. Et les images filmées, à leur tour, dépasseront les idées – seconde similitude godardienne.
À la question « Qu’est-ce que je suis censé dire ? », la réponse est « Je ne peux pas le dire à ta place. » Et c’est sans doute ce qu’il faudrait répondre à quiconque souhaiterait créer, écrire ou critiquer. Pour chaque créateurice, écrivain·e et critique, trouver un sens n’appartient qu’à soi. C’est à nous d’improviser et, petit à petit, de trouver un sens à nos improvisations. Ni dans la création ni dans la critique ne se cachent les mystères ; ils n’existent qu’à partir de l’instant où nous souhaitons qu’ils existent. Dans le cas contraire, tout est possible, même les mensonges, même les faussetés, même les tromperies ; il suffit juste d’un peu d’imagination.
Un dialogue n’est finalement qu’un double monologue et parler seul semble s’abattre dans Bonjour la langue. Le choix de l’improvisation permet l’invention des paroles tandis que la reprise d’extraits du Cancre (2015), où Pascal Cervo jouait déjà, permet l’ancrage dans le temps et dans l’image. Les deux vont de pair. Et par une première séquence où chacun contient son cadre par un champ contre-champ classique, petit à petit, en trois séquences, les personnages s’approchent, rentrant dans le même cadre – d’abord face à face, puis ensuite côte à côte –, réussissant enfin à se dire les choses, à parler ensemble, à dialoguer et, d’une étreinte, ne faire qu’un.
C’est la réinvention des relations. C’est un espace de réunion, un espace commun entre le père et le fils, le cinéaste et l’acteur, puis le film et nous. Et il n’y a plus de hiérarchie. Le geste de Vecchiali nous détourne de l’autoritarisme du père, du cinéaste et du film et, par-là, il nous libère. Il nous émancipe de ce que nous avions préalablement cru un espace renfermé, un cadre fixe, et il nous ouvre les portes de la divagation et de la fantaisie ; et paradoxalement, de ces enfantillages, nous devenons adultes.
Par Bonjour la langue, par ses échanges où passent parfois quelques références à Godard (dont le titre est d’ailleurs un écho assumé à Adieu au langage), c’est tout un monde de révolutions esthétiques qui prend fin. Vecchiali et Godard ne sont plus, mais leurs films resteront. Les mots passent, les films passent, les êtres passent ; tout a une fin mais rien ne sera jamais fini. Les liens humains et les filiations artistiques perdureront et tout pourra, avec le temps, se relire différemment. Bonjour la langue, à chaque nouvelle séquence, par des éléments visuels ou scénaristiques, de manière constante, se relit différemment. Nous sommes toustes des enfants adopté·es officieusement par les cinéastes que nous aimons. Par eux, nous devenons adultes.
Bonjour la langue de Paul Vecchiali, en salles le 27 août 2025