Contrechamp et contrepouvoir

Critique | Devant – Contrechamp de la rétention d’Annick Redolfi, 2025

Des femmes assises dans une sorte de cabane en bois, un abri misérable, au fond du bois de Vincennes. Elles attendent pendant des heures, puis des jours, enfin des mois, des entrevues avec leurs proches, placés injustement en centres de rétentions administratifs (CRA). N’ayant pas le droit de filmer le lieu ni son intérieur, Annick Redolfi, par cette contrainte, imagine alors un dispositif simple mais pourtant pertinent : filmer les visiteurs et visiteuses.

Non en hors-champ, mais bien en contrechamp : c’est là tout l’enjeu de ce documentaire, qui s’inscrit comme contre-pouvoir, contre un système oppressif d’État, contre une idéologie raciste, une structure qui est, elle, contre notre idée de ce qui fait la société, l’humanité ; contre nous.

On y voit le dehors, l’à-côté, et on y voit aussi la rétention dans la crainte, l’appréhension pour ces femmes de retenus, qui, par douleur et proximité, tissent des liens entre elles pour mieux soutenir le poids du cauchemar. Ce film est là pour nous rendre solidaires, pour nous souder, se maintenir dans l’espoir et le rire, s’accoler, coude à coude, pour ne pas sombrer et abandonner, mais bien persévérer dans cette lutte de la vie.

Annick Redolfi filme pour créer un espace de liberté, pour et par ceux qui en sont privés. Espace de rêve et d’espoir, espace de parole, tentant de décrire, nous laissant imaginer, l’ignominie et la violence de ces lieux de non-droit, où les retenus — certains ayant connu ou connaîtront injustement l’incarcération en prison — affirment être dans une situation plus difficile encore que celle des détenus. Tout ceci est pourtant vrai, « presque dystopique » selon la réalisatrice. Ces CRA sont insalubres, volontairement cachés par l’État, où les retenus, n’ayant commis ni délit ni crime, y sont placés injustement. Quand les dispositifs de maintien de « l’ordre » ne détruisent pas seulement la santé psychologique des « sans-papiers » les amenant à la folie, ceux-ci sont parfois même meurtriers. Les retenus sont régulièrement drogués à leur insu, en dehors de toute loi. Sans horizon (les jours de rétentions sont passés, en quelques décennies, de 7 jours en 1981 à maintenant 90 jours), sans avenir (lorsqu’ils sont injustement renvoyés de France, ou envoyés en prison), dans l’attente d’un jugement arbitraire pour être considérés coupables ; coupables d’avoir eu le courage de passer des frontières au risque de leur vie, coupables d’être nés dans un pays en guerre ou en dictature, coupables d’avoir été emmenés pour travailler au service d’un état colon, coupables même d’être nés et avoir grandi en France, mais pas suffisamment1… Coupables, car victimes. 

En miroir à la banalisation de la diabolisation des personnes en situation irrégulière, qui pourtant font vivre une société autant que chacun de nous, la documentariste témoigne de la violence judiciaire et de la maltraitance institutionnelle. On ne peut qu’être reconnaissants, d’avoir accès à un document si précieux, indispensable, important.


Devant – Contrechamp de la rétention d’Annick Redolfi, le 12 novembre 2025 en salles.

  1.  La « loi Pasqua » n° 93-933 du 22 juillet 1993 stipulait que les jeunes nés en France et de parents étrangers doivent confirmer entre 16 et 21 ans leur nationalité française, impliquant un processus administratif très complexe. « Art. 44. – Tout étranger né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de seize ans et jusqu’à l’âge de vingt et un ans, acquérir la nationalité française à condition qu’il en manifeste la volonté, qu’il réside en France à la date de sa manifestation de volonté et qu’il justifie d’une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui la précèdent. » ↩︎