Les lesbiennes aussi ont le droit

Critique  | Des Preuves d’amour d’Alice Douard, 2025  | Semaine de la Critique

Faites un film qui se déroule en 1914 et ce sera un film historique, la date indique même déjà un certain état ambiant, un type de récit. Mais alors si en 2025, vous faites un film qui se passe en 2014, qu’est-ce que c’est ? Histoire ou journalisme, une nouvelle pièce dans la machine. Au lendemain de l’adoption de la loi Taubira de 2013 qui ouvrait le droit au mariage pour les personnes de même sexe, de nombreux couples homosexuels se lancent, en pionnier·es, dans des procédures inédites en France pour devenir parents. C’est le cas de Céline (Monia Chokri) et Nadia (Ella Rumpf), qui sont allées au Danemark pour une PMA et s’apprêtent à lancer près d’un an de démarches administratives pour rattacher juridiquement Nadia à l’enfant que porte Céline. Pour cela, elles doivent recueillir des dizaines de témoignages de leurs proches, ami·es et familles, afin de prouver le rôle de mère qu’aura toujours eu Nadia à l’égard de l’enfant à venir.

Si Des preuves d’amour souffre de la multiplication jusqu’à l’épuisement de son sujet en plaçant son couple dans toutes les situations imaginables, des amis hétérosexuels qui ne savent pas ce qu’est une PMA jusqu’aux parents doucement réac’, le film réussit à restituer un rapport déjà daté aux luttes LGBTQIA+, et montre qu’entre l’époque où se déroule le film et aujourd’hui, on a déjà bien avancé. On surveille mieux notre langage, ça devient de plus en plus normal. Les multiples personnages secondaires qui relancent la dynamique tout au long du film ne sont pas tous suffisamment exploités, à l’image de Félix Kysyl (Miséricorde) à l’hôpital ou Édouard Sulpice dans un bar qui, étonné de rencontrer un couple lesbien, blesse Nadia par ses mots maladroits (et montre la charge mentale insidieuse qui pèse constamment sur une lesbienne supposée se justifier de ses relations amoureuses). En revanche, le personnage de la mère de Nadia interprété par Noémie Lvovsky, ambigu puisqu’elle incarne une célèbre pianiste qui a privilégié sa carrière sur sa vie de famille, montre avec une très belle tendresse les mécanismes toujours infantilisants d’une loi supposée progressiste. Si la femme n’a pas pris part à l’éducation de sa fille, sa parole est nécessaire au dossier pour qu’elle ait à son tour le droit d’être mère.

La douceur qui gagne le film apparaît alors comme une représentation bienvenue du couple lesbien, extérieure à tout fantasme. Céline et Nadia vont avoir un enfant, elles sont un couple comme les autres : parisien, anxieux à l’idée de ne pas être à la hauteur, amoureux, désirant. Une scène en club les montre en train de chanter You & Me entourées d’une foule euphorique, avant que la caméra, parée d’un flash, ne (sur)expose leurs corps en train de danser. Les lesbiennes aussi ont le droit à un moment de répit, une scène sans aucun enjeu dramatique. Des preuves d’amour fait d’ailleurs le bon choix de montrer un couple plutôt aisé (elles sont dentistes et DJ), ce qui permet au film d’aller directement creuser des sujets qui auraient pu être survolés dans d’autres circonstances : le coût de plusieurs milliers d’euros d’une telle procédure (encore une charge que n’ont à supporter que les couples LGBT), le poids que cela représente de monter un dossier où l’on doit demander à des dizaines de personnes de prouver que l’on sera une bonne mère (encore une charge que n’ont à supporter que les couples LGBT). Les lesbiennes aussi ont le droit d’y arriver.


Des preuves d’amour d’Alice Douart, prochainement en salles