Fais ce qu’il te plait

Critique | Le Joli Mai, Chris Marker et Pierre Lhomme (1963) | Ressortie 2025

Ça commence tout en haut, la tête dans les nuages. La légèreté du souffle depuis les immeubles de la capitale. La vue vertigineuse de celle sur qui tout a déjà été dit, écrit, raconté. Sous le ciel de Paris, une voix – celle d’Yves Montand – narre le projet de Pierre Lhomme et Chris Marker : un film sur la ville lumière au début du printemps. Celle qui, en mai 1962, est fraîchement et résolument sortie des temps belliqueux pour rencontrer la modernité. La récente restauration du Joli Mai, c’est la redécouverte de cette lettre directement adressée à Paris, mais plus que tout, à ceux qui la peuplent. A ce tout un chacun, ce brin d’humanité que les deux cinéastes parviennent à faire exister et s’incarner. Cinéma vérité dit-on – du moins, vérité d’une invitation sincère et amoureuse.   

Plus tard, il y aura News from home (1977) de Chantal Akerman. En 1962, ce n’est pas les lettres de notre mère, Paris, que nous écoutons, mais celles de ses enfants, les parisiens. La rencontre du micro (littéralement) et du macro pour s’unir dans la matrice. L’intime face au gigantesque. Au sommet de la Tour Eiffel, les petites gens fourmillent dans la ville. Ils sont aussi bien le Général Charles de Gaulle – pas plus grand qu’un autre  – que cette petite araignée, qui grimpe, grimpe, grimpe (!!!) sur la veste d’un inventeur toqué, et qui parvient d’un coup d’un seul à devenir le personnage principal de la séquence. Le pauvre et le riche, l’enfant et l’adulte, mais surtout l’exceptionnel et l’ordinaire, le sublime et le grotesque. Une galerie de personnages – pas de tropes – croisés dans Paris, puis entre-croisés dans le montage. 

Au générique s’affiche le nom des enquêteurs. Faire un film, c’est enquêter. Marker, Rivette, Lanzmann, même affaire. Le Joli Mai n’est pas impartial, il interroge, questionne. Il tente de saisir un Paris en mutation, celui d’une nouvelle vague à l’horizon. « L’espace est un doute » écrit Perec (Espèces d’espaces, 1974), il faut en faire la conquête. Investir la topographie de la ville, comme l’architecture des intériorités de ceux qui la peuplent. Penser (ou panser) le racisme, les « événements en Algérie », la misogynie intériorisée et la « question du logement ». La ville, la France, en gestation, reconstruction. 

Mais fais ce qu’il te plait ! Ce qui leur plait à eux, Lhomme-Marker, c’est questionner et poser des questions. Pour ce faire, Chris-Pierre, filme ce que tu veux. Vlog Paris, le printemps, les parisiens, l’Arc de Triomphe et les pavés. Prends-toi dans le flou, les arrière-plans, l’accessoire. Rends-toi au musée d’Histoire Naturelle pour filmer la capsule qui a permis à John Glenn de se rendre dans l’Espace, et filme tout, sauf la capsule. Le Joli Mai, c’est les rêveries du promeneur plus-trop-solitaire. La divagation d’une conversation fleuve, grisée par le soleil de la belle saison. Celle que l’on commence en souriant mais qui, la journée avançant, nous laisse une petite larme au coin de l’œil. Puisque Paris, au mois de mai, c’est joli quand on est libre. 

Le Joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme, ressortie en salle le 30 avril 2025