Critique | Harvest, Athiná-Rachél Tsangári, 2025
Walter Thirsk (Caleb Landry Jones) folâtre, candidement nu dans l’herbe humide, près des troncs et des flots. Il est l’enfant de cette nature presque immaculée, un pseudo jardin d’Eden – le tableau esthétisé d’un mythe. Là-bas, village lointain coupé du monde, le rythme est aux saisons, guidant moissons, récoltes et chorégraphies des paysans et de leur maître. Ensemble et chacun son rôle, ils vivent, jouent avec les champignons et le feu, font communauté dans une harmonie dissonante. Jusqu’au soir où les colombes brûlent, grossier symbole d’une révolte et présage d’une liberté mise en danger.
À quoi tient cette communauté ? Cultiver le sol en chœur, labourer la terre et planter les semis en attendant la prochaine fête. Ces gestes de labeur mimant les toiles de Jean-François Millet sont vidés de leur beauté et rendus ridicules par la narration d’Athiná Rachél Tsangári. Celle-ci, naïve et idéaliste, peine à saisir les rouages qu’elle prétend montrer. Sans structures ni moyens matériels, comment une émancipation peut-elle advenir ? Comment peut-elle avoir du sens ? En s’efforçant de cartographier des systèmes de domination sans les laisser exister, la cinéaste se perd à travers champs, dans un déni confortable, échouant à comprendre ce qui conditionne les violences et les rapports de force. Les bribes de discours féministes et incendiaires s’évanouissent aussitôt, emportés par le vent creux du propos qui en devient caricatural.
Et puis une fissure arrive de l’extérieur, amenée par le cousin du maître et son désir de capitaliser les terres. La propriété s’installe, et avec elle, un cartographe chargé de tracer des lignes, délimiter les parcelles. En nommant les espaces du domaine d’un geste en apparence érudit et artistique, ce dernier place en réalité des clôtures. Jour sept, la récolte devient marchande, les villageois·es sont chassé·es vers la grande ville et le capitalisme fût.
Un dernier acte pour défendre le prochain printemps, mettre une dernière fois le feu avant de s’enfuir. Harvest convoque beaucoup : faire communauté, le désir prolétaire et féministe d’émancipations, la peur de l’étranger, le capitalisme et son rejet. Au croisement de ces thèmes, un fil, un seul, perdu : l’appartenance, et alors la propriété. Ce qu’on possède ou ce qu’on brûle. Ce que l’on tente trop prudemment de raconter.
Harvest de Athiná-Rachél Tsangári, en salles le 16 avril 2025.