La fatigue

Critique | La Légende de Baahubali : l’épopée de S.S. Rajamouli

La démesure est l’expression consacrée, sinon le cliché, lorsqu’un certain cinéma indien à grand budget frappe aux portes des salles françaises. Le commentaire autour de RRR (2022) a rejoué par esprit d’hyperbole ce pré-pensé, mettant au détriment du film l’accent sur tout ce que celui-ci fait d’un peu plus que les autres (à comprendre dans un référentiel tété aux blockbusters étasuniens) : toutes les émotions, tous les genres, toute l’action en un peu plus grand, les comédiens eux aussi inspirés par cet enthousiasme généralisé. 

L’ampleur caractéristique du cinéma de S.S. Rajamouli – dans ses scènes d’actions spectaculaires, dans ses intermèdes musicaux chimériques, dans ses récits imbriqués sur différentes époques, ou tout simplement de part de la thune mise en jeu et de sa fructification puisque l’on parle-là du plus grand succès de l’histoire du cinéma indien sur son territoire comme à l’étranger – travaille dans ce re-montage à une opération contre-nature, à savoir une diminution : pour cette ressortie, le cinéaste a condensé les un peu plus de cinq heures des deux volets de La Légende de Baahubali (2015 – 2017) en un peu moins de quatre heures. Cette densification est prodigieuse : le film fonctionne de façon ininterrompue, les scènes coulissent les unes vers les autres et le cinéaste ne ménage aucune pause entre ses registres, entre ses époques – le duo de comédien central, Prabhas Raju Uppalapati (qui interprète Shivudu et les deux Baahubali) et Rana Daggubati (le roi illégitime à travers les époques), navigue avec une agilité louche dans ce flot d’âges et de tableaux. Si le traitement sonore du film est d’une orthodoxie décevante, son habillage musical circule avec un pareil souci d’efficacité et la reproduction des thèmes achève de construire la sensation d’épopée, avec une évolution joueuse parfois bien sentie (lorsque la chanson de Baahubali est remplacée le temps d’une scène de couronnement illégitime par la chanson de Ballaladeva). 

Toute la complexité scénaristique du film s’agrège dans cette forme avec une grande aisance, grâce au vaste réseau de mythologies et de tragédies sur lequel il s’appuie. C’est d’ailleurs par la voie de ce corpus littéraire que le film trouve son principal intérêt : d’un premier tiers qui se regarde avec un intérêt vacillant, faute à un argument d’écriture faible (un corps trop fort par nature dont on va progressivement révéler le lignage noble), relevé seulement par les chorégraphies d’un comédien en grâce, la suite tournée vers conflits d’héritages et cabales politiques (qui appuie avec un sens poli de la satire la machination des puissants au détriment du peuple) est nettement plus convaincante et trouve son point d’acmé dans une bataille finale d’une vingtaine de minutes qui parvient à dissoudre avec naturel l’intégralité de ses enjeux dans son spectacle. Notons quand même deux conséquences délétères à cette virtuosité : la surstimulation comme moteur esthétique ne permet que difficilement de faire empreinte (ne restera que des impressions fugaces du corps de Prabhas et du thème musical afférent), et aussi musclé soit-il le divertissement n’empêche pas la fatigue de reprendre ses droits. 

La Légende de Baahubali : l’épopée, au cinéma le 31 octobre 2025