Les deux faces d’une même pêche

Critique | Peaches goes bananas, Marie Losier, 2025

Au détour d’une conversation dans les coulisses, la chanteuse Peaches confie qu’elle a rencontré la réalisatrice Marie Losier lorsque celle-ci tournait son documentaire The Ballad of Genesis and Lady Jaye, dédié à Genesis P-Orridge, laquelle assura à plusieurs reprises les premières parties de Peaches. Ce qui pourrait s’apparenter à un détail comme en livrent des documentaires musicaux par centaines, révèle en réalité toute la démarche à l’œuvre dans le travail de Losier. Avec quelques dizaines de films à son actif, mais dont la salle commerciale n’aura jamais été le modèle privilégié, sa filmographie s’apparente à une colonie de vacances pour personnalités extravagantes (Bim, Bam, Boom, Las Luchas Morenas !, Felix In Wonderland…), dont les activités virent toujours à la féérie débridée, une joyeuse guerre des paillettes (Eat My Makeup !, Slap the Gondola). C’est ainsi que l’œuvre de Marie Losier se voit peuplée de citoyennes excentriques, et constitue in fine une communauté ludique et indépendante, accueillant ses nouvelles membres au compte-goutte, par réseau d’amitié.

Pour qui ne connaîtrait pas Peaches, ce documentaire fait parfaitement office d’introduction à son travail. Son rock certes, mais aussi son esthétique trash, célébration permanente du corps dans son ensemble et culte rigoureusement dévoué au sexe féminin, bien qu’il ne soit pas à l’origine de son nom de scène fruitier (il faut plutôt remonter à Four Women de Nina Simone, et les paroles « Because my parents were slaves / What do they call me? / My name is Peaches »). La (sur)puissance d’incarnation du personnage scénique de Peaches pose alors un défi plutôt neuf au documentaire musical : comment approcher avec une caméra et la cerner, elle qui en côtoie déjà tellement au quotidien, photographiée, enregistrée et filmée sous toutes ses coutures ? La mise en scène de Losier se fait alors peut-être plus sage qu’à son accoutumée, déjà assez bringuebalée par son sujet. Elle ne recourt par exemple à des effets de montage tranchés qu’avec parcimonie, lors des séquences de concert à Paris notamment, en faisant alors de la scène autant un lieu sauvage de libération des corps que des riffs.

Pour un documentaire musical, Peaches Goes Bananas ne s’intéresse finalement que très peu à la musique de Peaches. C’en est presque un jeu, voire même le prolongement de la frustration que la chanteuse procure à son public dans un élan narquois d’exaltation, comme lorsqu’elle raconte finir régulièrement ses concerts en annonçant avoir chanté tous ses tubes, pour le seul plaisir de voir des hommes de cinquante ans lui hurler, la supplier de chanter Fuck the Pain Away, son titre le plus connu. Peut-on alors parler de  «  portrait musical » ? Sur sa très courte durée (1h13), le film s’attache à présenter la multiplicité des facettes de l’artiste, irréductible au slogan « poilue à l’extérieur, juteuse à l’intérieur » qu’elle garde pour la scène et accompagne d’autres happenings tout aussi paillards. 

On l’observe ainsi en loge, en séance shooting ou interview, mais aussi au cours de séquences en famille. Chez sa sœur en particulier, avec qui elle partage une relation proche et complice, particulièrement émouvante au regard de leurs différences : quand l’une vit au quotidien avec une mobilité réduite, l’autre déchaîne toute son énergie chaque soir sur les scènes du monde entier. Peaches se remémore aussi ses années d’institutrice, et les nombreux enseignements qu’elle a tirés de la compagnie d’enfants, pour leur capacité d’attention réduite et leur franc parler déstabilisant, devenus sources d’inspiration pour la suite de sa carrière. En faisant alors un pas de côté par rapport à ses films plus expérimentaux, Marie Losier touche peut-être plus au près dans ce qui fait de Peaches sa singularité, et capte l’indissociabilité entre la personne et son double scénique, traînant de son alias musical dans sa vie quotidienne, et vice-versa. Car chaque jour, toutes deux se retrouvent dans le même corps ; et aujourd’hui après dix-sept ans de tournage, elles sont enfin à l’affiche du même film, à égalité. 

Peaches goes bananas de Marie Losier, en salles le 5 mars 2025