Journal de bord | The White Lotus saison 3 (2/8)
Qu’est-ce qui est pire qu’un pilot de série ? Le deuxième épisode. Le premier a ses raisons, un effet rentrée des classes insupportable mais un peu plaisant quand même. Mais le second, quelle peut bien être sa défense ? Étrange et désagréable sensation première de revenir au White Lotus par le trio de blondes, dont on ne saurait se souvenir des prénoms, et qui reprennent, l’air de rien, leur conversation nocturne entamée dans l’épisode précédent. Retour brutal au quotidien, à son habitude anesthésiante. Qu’est-ce qui justifie que ce segment fasse l’ouverture ? Ces amies, inégales par leur rang social, forment aussi l’arc scénaristique le moins intéressant de la série à ce jour : on voit déjà poindre la circulation de la jalousie dans le trio et les isoler à tour de rôle en reconfigurant les alliances en fonction de la péripétie. Ce sont elles que l’on voit le plus dans l’épisode, mais on peine à s’y attacher ; échec de la singularisation des personnages, limpidité éclatante de développements des caractères qui serviront plus tard.
Et vous, comment avez-vous regardé cet épisode ? Vautré dans un pouf ou sur votre canapé, vous avez été nombreuxses à manger devant l’épisode, à appuyer sur pause pour ramener l’assiette ou l’encas en cuisine, trouver un dessert et remplir un verre d’eau, relancer l’épisode et l’interrompre à nouveau pour passer aux toilettes. Lae spectateurice consomme la série pour en parler le lendemain et comprendre la discussion de la machine à café du mardi matin. Il n’y a plus besoin de comprendre, encore moins de ressentir : il suffit de suivre. C’est pour cela qu’il faut s’inquiéter des plans de transition et crier au scandale d’un cut, indifférencié du passage du plan final du premier épisode à celui d’ouverture du deuxième. Le créateur pensait-il déjà aux millions de personnes qui constitueront vite une majorité à avoir binge la saison, et donc à avoir regardé cet épisode immédiatement après avoir achevé le premier ? Jean-Luc Godard : « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. » Peut-être faudrait-il la tourner ?
Tchekov, es-tu là ?
Il faut aussi s’interroger sur la déception que procure un tel épisode en raison de son calme apparent, déstabilisant. Le premier quart de la série passé, le scénario avance encore masqué, les coups bas tardent à venir, on se surprend à désirer voir le sang couler. Dans la rétention de ses grosses cartouches, le scénario peine encore à créer du commun et un sentiment de cohabitation entre ses différents arcs. La géographie de l’hôtel semble bien incertaine, on l’imagine vaguement dans les plans de transition au travers d’une végétation touffue, entre une vague qui se déverse et un singe qui remonte le long d’une branche. Comble de cet effet ressenti, une scène de braquage à la bijouterie s’insère tout en douceur dans le montage simultané de ces différents groupes de voyageurs, sans que l’on ne ressente l’intensité de ces quelques secondes. Une exposition en deux épisodes de l’ensemble des prémices desquelles se jouera le scénario ensuite semblerait presque relever de l’accident industriel, dissimulé par la réapparition du thème musical iconique de la saison précédente.
Les interactions se font rares, dans les lieux de restauration. Le malaise de la mère, qu’une des blondes reconnaît au petit-déjeuner, un repas partagé par les deux couples composés à l’identique d’un vieux mec et de sa jeune copine… On ne voit rien de la Thaïlande, elle est directement apportée à table : un concert, un spectacle folklorique. Sans excursion atypique, pas de situation étrange ni d’échanges courtois-gênants. C’est d’ailleurs en famille que la beauferie de Saxon (Patrick Schwarzenegger) éclate le mieux, quand il dit être déçu du massage en raison de son absence de « happy ending » et que sa mère rit, plutôt qu’en accostant à nouveau une femme qui se prélasse au bord de la piscine, situation déjà éprouvée dans l’épisode précédent. Pourquoi sa sœur n’est-elle pas encore allée voir son temple ? Attendons sûrement que les problèmes financiers et pénaux de son père le poussent au bord de l’arrêt cardiaque…
Cette nouvelle fournée continue donc de nous familiariser avec les différents vacanciers sans qu’ils ne se démarquent totalement, à l’exception de Lochlan (Sam Nivola), qui a droit au plus beau champ / contre-champ de l’épisode. Lorsque tous se réveillent dans leurs lits, nus comme des vers, le cadet observe son frère endormi, sur le flanc, le derrière à l’air ; il se lève et se passe de l’eau sur le visage, nous laissant alors admirer un caleçon estampillé Monsieur Pringles. Il faut se méfier des jeunes personnages : lui se situe dans un entre-deux âges dont on ne sait que faire. Le scénariste osera-t-il pousser la relation incestueuse aussi loin, avec un personnage aussi jeune ? On l’espère bien, car la critique se compose majoritairement de points d’interrogations, et très peu de points d’exclamations. Et ce n’est jamais bon signe.
The White Lotus saison 3, à partir du 17 février 2025 sur HBO Max