Matière du bocage

Critique | Souvent l’hiver se mutine, Benoit Perraud, 2025

Souvent l’hiver se mutine, premier long-métrage réalisé par Benoit Perraud, est un film de montage d’archives remarquable nous immergeant dans le Poitou du XXe siècle. Le film s’ouvre sur un surcadrage fordien — une porte donnant sur un paysage en ruine — nous emportant d’emblée dans son souffle révélateur. Plus qu’un simple documentaire, ce film s’impose comme un film-somme, traversé par le désir du cinéaste de sauvegarder l’ensemble d’une culture audiovisuelle.

La force du film réside d’abord et surtout dans ce qu’il montre : il serait vain de décrire la beauté du paysan, sa terre, ses œuvres. Pays de bocages, et de danses, (branles et polaïes), de boues et de sabots. Peut-être n’y a-t-il rien de plus beau qu’un sillon creusé par un soc et retournée par le versoir d’une charrue. Rien de plus beau que ce mouvement panoramique, rythme organique capturant un travail aride mais fertile. Archiver un geste, un coup de main ; celui d’une taillade dans un pied de cochon encore fumant du vicouée embrasé ; celui du ramendage des filets de pêche ; celui d’une passementière ouvrageant à l’aiguille sa dentelle.

Mais la beauté de ce film réside également dans ce qu’on y entend. Les archives sonores jouent un rôle essentiel, puisqu’elles proviennent d’enregistrements réalisés entre 1946 et 1991 par des ethnomusicologues comme Claudie Marcel-Dubois, André Pacher, Michel et Michèle Valière ou encore Jany Rouger. Grâce à eux et elles, ces chants, ce beau parlanjhe, parviennent aujourd’hui jusqu’à nous. Le film montre cependant ses limites par sa bande-son : l’ajout d’interprétations musicales modernes crée une dissonance malheureuse avec ces précédents sons d’archives. Ce trop plein sonore témoigne d’un regrettable écueil : un manque de confiance en ces si belles images qui ne nécessitent ni appui, ni traduction musicale, ni embellissement. En voulant faire entendre toute l’étendue du patrimoine musical, le documentaire tend vers le film-manifeste : un devoir de mémoire alliant passé et présent. Pourtant, les images se suffisent à elles-mêmes, dans leur justesse et leur matière brut — comme ces mains calleuses et ces pierres mousseuses, ces poitevins mulassiers piétinant les marécages. Toute cette matière visuelle incarne son propre témoignage. 


Souvent l’hiver se mutine, en salles le 3 décembre 2025.