Critique | My Stolen Planet de Farahnaz Sharifi
Georges Orwell faisait du mot le lieu du pouvoir en ce qu’il touchait profondément à la mémoire individuelle et donc collective. Toute dictature se fait fort de changer le sens de ses mots pour distiller leur interprétation de la réalité par la langue même de ceux qu’elle veut soumettre.
La force du documentaire de Farahnaz Sharifi est qu’il nous montre que l’image connaît le même sort – des vies filmées volées par le régime irannien pour maintenir le peuple dans l’oubli de sa propre liberté, par l’oubli du seul territoire que les pouvoirs publics ne contrôlent pas encore, le foyer familial et amical. Si la métaphore filée établie par la voix off reste assez faible poétiquement et politiquement – la coexistence de deux planètes, celle des ayatollahs du dehors et celles des humains du dedans – elle a le mérite d’ébaucher une distinction spatiale et psychique par la force de l’image, entre le pouvoir de l’individu au sein du collectif et le pouvoir du collectif colonisant l’individu.
La seconde partie répond en cela à la première que filmer est autant un risque vecteur de mort qu’un acte de vie. Filmer les abus et les violences policières qui viennent réprimer tous les actes contestataires qui ont lieu en Iran depuis les Printemps Arabes a la même portée politique que deux sœurs apeurées qui chassent des cafards dans leur salle de bain, en ce qui ces images ont la force du quotidien pleinement vécu.
La circulation des images qui s’opère dans le film est vécue par la réalisatrice comme un combat contre la disparition des individus : les morts tués lors de leurs protestations, les victimes du régime dont les films personnels ont été perquisitionnés par les autorités, mais aussi sa mère atteinte de démence et qui bientôt décédera, avec qui elle nourrit le lien dans le lointain de l’Allemagne grâce aux appels en visioconférence. Les régimes d’images qui traversent le documentaire se différencient par leurs temporalités ; le passé des archives dans la rue, l’étrange arrêt sur image de leur numérisation, le futur des moments de vie filmés par la réalisatrice dans la perspective de les utiliser un jour, et le passé présent du film en lui-même.
Néanmoins, cette réjouissante dynamique tend à s’étioler dans une voix-off trop descriptive, trop imagée, qui ne laisse pas les images lui résister et marcher dans la rue à ses côtés, pas sages comme des images. Les mots détricotent les images et leur imposent un sens unilatéral dans le même processus idéologique décrit par Orwell : à trop peu faire confiance à sa matière, Sharifi s’enlise dans des abstractions somme toute banales, si ce n’est là le même processus dénoncé qui est reconduit par la cinéaste. Ces images nous parlent, laissons les faire.
My Stolen Planet de Farahnaz Sharifi, ressortie en salles le 25 juin 2025