Journal de bord | The White Lotus saison 3 (4/8)
La semaine dernière, nous déplorions l’inefficacité avec laquelle l’intrigue se mettait en place dans cette troisième saison thaïlandaise de The White Lotus. Mais, à mi-parcours, l’essentiel semble enfin se dévoiler ! Ce quatrième épisode marque un tournant, l’instant où la tension atteint son paroxysme, tout l’univers de la série tendant vers un point de rupture, la bascule avant les chutes, la mort d’un (des) personnage. Il était temps, on arrive à mi-saison. Une virée sur le grand yacht de Gary réunit une bonne partie des intrigues dans un même lieu, ce qui permet deux choses bienvenues : 1-l’hôtel n’est plus l’épicentre de l’intrigue, et 2-nos riches vacancier·ères sont obligé·es de se confronter à un réel qu’ils avaient laissé de côté depuis quatre jours, celui d’autres touristes de tous horizons. On se retrouve, sans surprise, « avant que tout ne pète » dans un endroit où les non-dits deviennent trop lourds à porter, où les relations, jusque-là lissées, se fissurent, et où la névrose des personnages prend possession de chaque scène.
On va avoir besoin d’un plus gros bateau
Sur le yacht, le père (Timothy) engloutit les anxiolytiques de sa femme (Victoria), lui dérobant son seul refuge contre l’aliénation qui l’entoure et la guette. Pire encore, il la manipule, la gaslight même, pour lui faire croire qu’elle les a simplement égarés. Riches ou non, les mères restent les réceptacles des dérives de leurs enfants… et de leur mari. Timothy est l’éléphant au milieu de la pièce qui ne sait plus où se mettre. Au bout du rouleau, le regard vide et mutique par l’alcool et les médocs, il occasionne sans le vouloir l’un des plus beaux gags de cette saison ; en Tartuffe moderne, il révèle inconsciemment son sexe devant sa famille médusée, un pénis flasque qu’elle «ne saurait voir ».
Sa fille, en revanche, qui semblait être sa seule source de sérénité, du moins jusqu’à ce qu’il découvre son projet, dévoile ses cartes : rester en Thaïlande après les vacances pour se « recentrer », persuadée d’avoir enfin trouvé sa place ici. On retrouve ici le syndrome du gosse de riche, déjà présent dans la première saison (par le personnage de Quinn) : cette illusion que l’on peut transformer un lieu de vacances en un foyer permanent, en évacuant toute contrainte du quotidien et en s’affranchissant des réalités économiques. Ce fantasme d’une vie figée dans un cadre idyllique traduit une déconnexion totale du monde réel, où l’argent permet de repousser l’inévitable… du moins temporairement. Mais comme toujours dans The White Lotus, le paradis n’est qu’un mirage. Le père continue de s’agiter tandis que les fils s’éclatent à côté en (plus ou moins) bonne compagnie pour une nuit de pleine lune qui n’augure rien de bon. C’est à se demander si le prochain épisode va déplacer un peu sa logique temporelle et commencer avant le soleil levant pour nous montrer ce qu’il se passe pendant cette nuit.
« New people make me anxious »
Les couples, particulièrement Chelsea et Rick, se déchirent sous l’effet de cette injonction de zénitude omniprésente. Et enfin, la digue cède, c’est le moment où il s’ouvre enfin à elle – et à l’audience, la première fois qu’il formule la chose, il est là pour venger la mort de son père. Les dialogues, jusque-là mesurés et parfois sarcastiques, deviennent de plus en plus corrosifs. Le calme avant la nuit de pleine lune se fait sentir dans chaque regard, dans chaque sous-entendu. Les personnages ne peuvent plus ignorer, Timothy en tête, l’évidence de leurs contradictions, de leurs mensonges et de leurs frustrations. Le tsunami en ouverture du précédent épisode aurait dû véritablement ouvrir celui-là : l’eau se retire, l’impact est imminent. Tout devient plus oppressant, et cette sensation d’« avoir la mort aux trousses » se renforce à mesure que l’épisode avance.
De leur côté, les trois « copines » se retrouvent sous les conseils de leur coach dans un hôtel de retraité·es. Les tensions passives-agressives se multiplient, la peur de l’inconnu et de la nouveauté – tout semble se résumer à une fuite constante. La dynamique entre elles, marquée par un ton toujours acerbe, montre à quel point les liens sont fragiles et empreints de jugement, et rappelle les trois statues de singes aperçues chez les Ratliffs : ne pas voir, ne pas entendre, ne pas dire le problème. C’était l’un des plans inauguraux de l’épisode 1 à la présentation des personnages sur le bateau : l’aîné (Saxon) avait des lunettes de soleil – ne (veut) pas voir-, la benjamine (Piper) avait un casque – ne (veut) pas entendre – et le cadet (Lochlan) était en train de boire et de cacher sa bouche – ne (veut) pas parler. Leur séjour dans ce microcosme de vieillesse renforce l’idée de la décomposition progressive de leurs relations. Leurs intrigues relèvent presque de la prophétie : la bataille d’eau qu’elles subissent annoncent le tsunami à venir.
Le fameux thème musical revient en fin d’épisode, les vrais ennuis commencent. Cela fait certes deux épisodes qu’il réapparaît à la fin des épisodes, mais comme le dit Chelsea : « jamais deux sans trois ». On nous fait miroiter qu’elle va encore frôler la mort, ou qu’elle va peut-être même mourir, alors qu’elle est l’un des personnages les plus attachants de la saison. Zion, fils de Natasha en route pour l’hôtel, incarnera-t-il symboliquement le haut d’un nœud prêt à lâcher et emporter avec lui les citoyen·nes de Babylone ? En espérant que le tsunami promis ne soit pas juste une bataille d’eau pour Songkran, on n’a plus cinq ans.
The White Lotus saison 3, à partir du 17 février 2025 sur HBO Max