Toujours Perdantes

Critique | The Last Showgirl de Gia Coppola, 2025

The Last Showgirl pourrait se dérouler dans une réalité alternative où Pamela Anderson n’aurait jamais été remarquée par Playboy puis NBC et ne serait jamais devenue cette icône comme les États-Unis adorent produire puis détruire lorsqu’elles osent prendre le pouvoir de la main qui les a érigées. Ici, l’ascension et la dégringolade se feront entre les quatre murs d’un cabaret poussiéreux de Las Vegas, où seul l’éclat des strass fatigués nous rappellera sa brillance passée. De ces strass, nous n’en verrons que des bribes : le film se concentre sur les angoisses existentielles de Shelly (Pamela Anderson donc) s’inquiétant pour son avenir en tant que danseuse de 50 ans lorsqu’elle découvre la déprogrammation du spectacle dans lequel elle danse depuis 30 ans. Imparable loi du capitalisme, le monde change au gré des modes et le cabaret burlesque ne fait plus autant vendre face à la concurrence des shows sexys et sexuels de la capitale du vice. 

Puisque les premiers dommages de ce système oppressif retombent toujours sur les opprimé.e.s, c’est ici l’âgisme féminin (sournois pléonasme) qui s’illustre de façon plus résignée que dans son homologue The Substance, qui utilisait ses gros sabots stabilotés pour nous imprimer le message. Dans The Last Showgirl, la situation est plus silencieuse, normalisée, subie. C’est le régisseur du spectacle (Dave Bautista) qui apprend la nouvelle à Shelly avec désolation et mélancolie. Seulement, lui, retrouvera son poste au sein du nouveau spectacle, elle non. Car même si les opprimé.e.s sont tous dans le même bateau, les femmes voyagent souvent en 3e classe. Une violence silencieuse, normalisée, subie. 

Mise en scène sans substance

Pour sa troisième réalisation, Gia Coppola décide de travailler à l’aide d’un papier calque qu’elle vient poser sur les films de sa tante (Sofia Coppola) en faisant bien attention à ne pas dépasser. Mais qu’importe l’ivresse pourvu qu’on ait le flacon qui rappellera aux millennials l’esthétique de leur adolescence, perdue entre l’imagerie de clips de Rihanna estampillés VEVO, et les tons pastels d’une photographie au grain poussé à son maximum que même Tumblr n’aurait osé en 2009. Entre le Las Vegas qu’elle dépeint et celui qu’elle filme, il existe déjà un monde, qui se situe d’ailleurs à mille lieux de la mise en scène plus réaliste d’Anora de cette ville outrancière. 

Le film multiplie, consciemment ou non, les parallèles avec la vie de Pamela Anderson. Shelly tente de renouer le contact avec sa fille, gênée par l’image sexualisée que véhicule sa mère ; un producteur (Jason Schwartzman, autant rester en famille !) d’un spectacle pour lequel elle auditionne, lui rétorque qu’elle a réussi son casting de l’époque car « elle était belle, jeune et sexy, même si elle ne savait pas danser ». Gia Coppola ferait-elle référence à son rôle dans Alerte à Malibu ? Paradoxe d’autant plus puissant que le film tient par la performance de son actrice principale, qui évite de tomber dans la surenchère des artistes souhaitant prouver leur légitimité dans le vacarme hollywoodien. Son jeu, candide mais réaliste, n’en demeure pas moins conscient des enjeux sociaux-économiques qui traversent son personnage. Mieux, il fait résonner ces angoisses vécues par toutes spectatrices. 

L’empathie s’arrêtera ici. 

The Last Showgirl / © IMDB – Jimmy Ruggiero

Car si Shelly passe les 1h30 de film à nous déclamer son art et son spectacle comme sa raison de vivre, ils ne seront pratiquement jamais montrés à l’écran. Il faut attendre les trois quarts du film pour voir Shelly danser pour la première fois, lors d’une audition. Sa façon gauche, timide et non maîtrisée est pertinente pour laisser la surprise de la déception au spectateur, lui faire comprendre que sa réinsertion professionnelle sera tout autant difficile que son talent n’était que chimère. 

Mais la scène de l’ultime représentation se vautre complètement dans cet échec à montrer ce dont Shelly est capable dans son élément, heureuse et sûre d’elle. Le cadre ne s’attarde ni sur le spectacle dans son ensemble, ni sur sa performance, restant dans cet entre-deux plat et permanent. Les costumes de scène, pourtant magnifiques, sont entre-aperçus entre des gros plans devant des miroirs et une caméra tremblante dans un escalier avant une représentation. Ces costumes sont les vraies pièces d’époque de la revue Jubilee! créées par Bob Mackie et Peter Menefee. Il est alors compliqué de pleinement diriger une scène de cabaret quand on utilise des archives fragiles valant plus que le budget du film. Idée très bonne sur le papier mais dont l’exécution enfonce le dernier clou du cercueil de cette dernière scène. Car si la source de bonheur de Shelly n’est jamais montrée, comment entrer en empathie avec un personnage qui privilégie l’ultime souffle de sa passion au détriment de son entourage ? À commencer par sa fille depuis son enfance, mais aussi une collègue qui vient sonner chez elle en détresse en pleine nuit et que Shelly laisse sur le pas de la porte car elle préfère répéter sa chorégraphie. 

Le doute sur le parallèle avec Pamela Anderson n’est cependant plus permis lors de la scène du restaurant en milieu de film tant on y retrouve les attributs phares de sa mythologie, dès son arrivée dans le plan : un chignon flou laqué, un eye-liner noir, une liseré carmin et une robe clinquante et moulante.

Si le film pose une question qui trouve un écho dans le cinéma contemporain, c’est : pourquoi Pamela Anderson ? Pourquoi Demi Moore ? Pourquoi Nicole Kidman ? Pourquoi un retour à grand bruit de ces actrices maintenant trop vieilles pour 96% des rôles proposés à Hollywood, et ce, à seulement quelques mois d’intervalle ? Pourquoi ce retour ne s’effectue qu’à travers la caméra de réalisatrices (Fargeat, Reijn, ici Coppola) ayant, qui plus est, grandi avec ces figures ? Être la cinéaste qui leur rendra la lumière, une façon de conjurer cette malédiction féminine ou un réel élan de sororité animé par la nostalgie et l’amour éprouvé pour ces actrices ?

The Last Showgirl semble tendre vers la troisième hypothèse tant le film pose un regard doux, empathique et bienveillant sur son personnage. Mais cette générorisé ne suffit pas à sauver le film de sa mise en scène sans substance malgré son envie d’offrir sa revanche à une femme violentée par les hommes et les institutions états-uniennes, moquée tout autant pour son ultra-féminité « exagercerbée » que pour son activisme politique. Toujours perdantes. Pamela Anderson mérite mieux, Hollywood lui doit bien ça.

The Last Showgirl de Gia Coppola, en salles le 12 mars 2025