Dag Johan Haugerud : « L’une des grandes qualité de l’art et du cinéma, c’est qu’ils ont le potentiel de se transformer, de rester ouverts, sans attache, et d’être constamment en mouvement. »  

Entretien avec Dag Johan Haugerud, réalisateur de  La trilogie d’Oslo : RÊVES / AMOUR / DÉSIR

Je retrouve Dag Johan à L’Hôtel de L’abbaye dans le 6ème arrondissement. L’endroit est chic, et cela m’intimide un peu mais l’atmosphère est douce. Je commande un Perrier, relis rapidement mes questions – c’est bientôt mon tour. Première interview en anglais pour moi : nous allons nous retrouver dans un entre-deux, une langue étrangère pour tous les deux, pour tenter de nous comprendre, de nous écouter, chacun avec son accent singulier. Une poignée de main, un sourire et l’entretien peut commencer. 

Tsounami : Votre trilogie s’intitule RÊVES / AMOUR / DÉSIR. Ces mots semblent si simples, presque archétypaux, et pourtant vos films leur donnent des textures incroyablement nuancées, silencieuses et inattendues. Comment en êtes-vous arrivé à ces titres ?

Dag Johan Haugerud : Je pense que si vous ne dites qu’un seul mot à la fois, comme seulement « sexe », seulement «  rêves », seulement « amour », c’est comme vous l’avez dit, très archétypal, très cliché, ce sont de grands mots qui ne veulent pas dire grand-chose. Quand vous les mettez ensemble, ils révèlent un aspect différent, ils se font écho l’un l’autre. Je pense que le sexe fait partie de l’amour et que les rêves font partie du sexe, évidemment, et que cela fonctionne mieux ainsi. Mais vous savez, en Norvège, c’était censé être SEXE, pas DÉSIR ! puis RÊVES, puis AMOUR

T : En France, je ne sais pas pourquoi, le titre a été remplacé par DÉSIR, ce qui n’est pas la même chose que SEXE

DJH : Non, pas du tout ! Et je ne pense pas vraiment que le sexe soit tellement lié au désir. Ça l’est, mais c’est plus que ça. 

T : J’ai vu les trois films le même jour, c’était une expérience particulière. J’ai commencé par RÊVES, puis DÉSIR et enfin AMOUR

DJH : Je pense que c’est une bonne façon de les voir ! 

T : C’était une expérience très différente de celle que vivra le public. En France, les trois films sortent à une semaine d’intervalle, mais il est rare qu’on voie une trilogie en une seule journée. Vous aviez une vision d’ensemble dès le départ ? Comment s’est déroulé le tournage dans cette logique ?

DJH : Je pensais dès le départ que je voulais faire une trilogie, tournée en une seule année, film après film. Beaucoup de trilogies, en réalité, sont souvent des constructions a posteriori : on réalise trois films, puis on décide de les regrouper sous ce terme. Mais ce n’est pas ce que je voulais. Si on avait procédé de façon plus classique, en les réalisant un à un, cela m’aurait sans doute pris dix ans ! 

T : On pense notamment à la trilogie d’Oslo – Nouvelle Donne (2006), Oslo 31 août (2011) et Julie en 12 chapitres (2021) – de Joachim Trier. Vous êtes-vous référé à d’autres cinéastes qui ont abordé les thèmes de l’amour et des relations ? Quelles sont vos principales influences ?

DJH : Il y a beaucoup de cinéastes qui m’influencent, mais pas de manière directe. Pour ces trois films, c’est surtout la littérature qui a compté. Je voulais vraiment parler de littérature. Par exemple, dans AMOUR, Marianne (la médecin), lit un livre d’Etty Hillesum. Ce détail était très important pour l’écriture du scénario. À vrai dire, il y a toujours un livre, au début du processus de chaque scénario, qui joue un rôle déterminant dans la manière dont je le construis. 

T : Dans RÊVES, Johanne lit également au début du film !

DJH : C’est français ! Elle lit L’esprit de famille de Janine Boissard. C’est un livre que j’avais chez moi quand j’étais adolescent et que je l’ai lu *rires*. Je ne m’en souviens pas très bien, mais c’est une description très forte des années 70 de la vie traditionnelle et de la famille, ce qui est plutôt agréable. C’est conservateur à certains égards, mais c’est aussi moderne à d’autres égards, car si je me souviens bien, il y a quatre sœurs dans le livre. L’une d’entre elles, Pauline, le personnage principal, a une sœur très conservatrice. Elle a aussi une sœur qui est toujours dans l’écurie avec les chevaux et qui est probablement lesbienne parce qu’elle ne veut être qu’avec eux *rires*. Et puis il y en a une qui est drôle, la plus jeune qui fait souvent le clown dans la famille.

T : Dans vos trois films, on sent à quel point vous aimez Oslo, que vous aimez en révéler les multiples visages. Dans AMOUR, par exemple, vous commencez par une visite guidée de l’hôtel de ville, où la guide interprète certaines statues comme des représentations homosexuelles. Est-ce une lecture historique réelle ou une réinterprétation que vous avez choisie pour proposer une perspective queer ?

DJH : Je voulais l’arranger dans une perspective queer parce que je pense que l’art a la possibilité de le faire. L’hôtel de ville a été construit il y a 75 ans. Je ne sais pas à quoi pensaient les artistes lorsqu’ils ont réalisé les statues, mais je ne pense pas qu’ils aient eu un système de référence clair. L’art ne change pas avec le temps, c’est nous qui changeons avec le temps, et qui avons des perspectives différentes, changeantes sur l’art. Nous pouvons intégrer ces perspectives dans les choses que nous voyons, parce que tout est là. Vous pouvez l’interpréter de cette manière si vous le souhaitez, d’une manière moderne, d’une manière queer. Et je pense que c’est l’aspect génial de l’art : il peut avoir différentes significations à travers les âges.

T : Même dans les films plus anciens, on peut y lire une forme de queerness, percevoir différentes sexualités. Et pourtant, on entend souvent : « Non, ce n’était pas l’intention, ce n’est pas ce que le film veut dire. » Mais en réalité, tout est une question d’interprétation. 

DJH : Oui, et je pense que c’est l’une des grandes qualité de l’art et du cinéma, c’est qu’ils ont le potentiel de se transformer, de rester ouverts, sans attache, et être constamment en mouvement. Cette ouverture est essentielle.

T : L’art doit se déformer, se transformer ?

DJH : Oui, être ouvert et être quelque chose qui ne juge pas.

T : Ce que je trouve vraiment impressionnant dans votre travail, c’est l’absence de jugement moral. Par exemple, dans DÉSIR, le personnage du ramoneur est complexe, c’est un « mâle hétéro classique » disons, mais au lieu de suivre un récit stéréotypé, vous renversez totalement les attentes. D’ailleurs, au début, je ne savais pas que « Dag Johan » était un prénom masculin, et je pensais sincèrement que vous étiez une jeune réalisatrice… Prenez ça comme un compliment !

DJH : *rires* Oui, je prends ça comme un grand compliment !

T : Ce qui est très intéressant, c’est que vous ne tombez jamais dans le cliché. La trilogie est à la fois très ouverte d’esprit et, d’une certaine manière, intemporelle. Il y a très peu de marqueurs temporels : les vêtements sont assez neutres, les téléphones portables sont presque absents, et même Oslo semble hors du temps. Aviez-vous cette idée en tête dès le départ, de représenter la ville comme un espace presque intemporel ?

DJH : Je suis très heureux que vous ayez remarqué cela, car c’est vraiment quelque chose sur lequel nous avons beaucoup réfléchi. Je ne pense pas que notre manière de filmer Oslo soit intemporelle au sens strict. J’aime filmer ou choisir des lieux qui évoluent, comme la place Karl Johans, pour montrer comment la ville change et comment cela impacte ses habitant·es. Dans DÉSIR, nous avons voulu représenter une ville en pleine transformation : les lofts, les grues, les vieux appartements, et l’hôtel de ville qui domine la ville depuis des années. Ces nouvelles constructions donnent un sens différent à l’ancien, ce n’est pas une opposition entre passé et présent. Construire ne consiste pas forcément à aimer ou détester l’architecture ou l’évolution de la ville, mais à saisir ce dialogue entre l’ancien et le nouveau.

T : Le film est rempli de mystères, ce qui est à la fois intéressant et, d’une certaine manière, frustrant. Par exemple, dans RÊVES, quand la porte se ferme et disparaît, nous, spectateurs, sommes confrontés à notre propre désir, un désir adolescent, un désir du passé. Je me suis demandé comment le cinéma pouvait réussir à se rapprocher aussi intimement de ce genre d’émotions. Comment avez-vous réussi à transposer ces ressentis à l’écran ? Était-ce quelque chose que vous aviez vous-même vécu dans votre jeunesse ?

DJH : J’ai connu l’amour et je m’en souviens très bien, j’utilise aussi mes propres souvenirs dans mes films. Je voulais travailler avec cette jeune actrice, Ella Øverbye, et faire un film sur elle, sur une adolescente. Et ce n’est pas si facile de faire cela pour un homme de mon âge (60 ans, ndlr) sans qu’il y ait un male gaze sur elle. Je ne voulais pas faire cela, et j’ai donc dû trouver une forme qui me permette d’être tout à fait subjectif. C’est son histoire, elle contrôle tout. Elle arrête même le film à un moment donné.

T : Dès le début, c’est la voix de Johanne qui raconte son histoire. Comme nous sommes français, nous devons lire les sous-titres, ce qui rend l’expérience très différente de celle du public norvégien, qui comprend directement ses mots. Cette lecture des sous-titres donne presque l’impression de lire un livre. Vous êtes aussi écrivain : avez-vous envisagé que votre public international aborde vos films en les « lisant » de cette manière ?

DJH : Pas vraiment, car en Norvège, une loi oblige à sous-titrer tous les films. On n’est pas obligé de lire les sous-titres, bien sûr, mais la plupart des gens le font sans même y penser, car ils voient l’image et le texte simultanément. Tous les films norvégiens sont donc sous-titrés, et même si on choisit de ne pas lire, on le fait souvent malgré tout, puisque c’est difficile d’ignorer les mots affichés à l’écran.

T : Cela a-t-il influencé la façon dont vous avez écrit les passages du livre de Johanne ?

DJH : Oui, parce que c’est un film centré sur la littérature et l’écriture. Je dis souvent qu’écrire un scénario de film est très différent d’écrire un roman, mais écrire une voix off s’en rapproche presque. Le flux n’est pas celui d’un dialogue, c’est un monologue intérieur. En tant qu’écrivain, écrire un film en voix off est plus agréable, car cela permet d’utiliser des phrases plus poétiques, un langage différent, qui n’a pas peur du pathos ni de ce qui peut sembler moins réaliste.

T : J’ai presque eu l’impression de lire un livre sur une jeune femme en train de découvrir le désir. Le style m’a rappelé celui d’Annie Ernaux, très introspectif et centré sur sa relation aux autres. La jeune actrice a-t-elle participé à ce processus ? 

DJH : Un peu, oui. Elle m’a fait de très bons retours, notamment parce que certains mots ne se disent plus aujourd’hui. Par exemple, elle n’utilise pas autant le mot « genre » que ce qui était prévu dans le texte au départ *rires*.

T : C’est intéressant de constater que vous avez déjà travaillé avec de nombreu·ses·x acteur·ices tout au long de la trilogie. Par exemple, Bjørn, le psychologue, est le seul personnage présent dans les trois films. Pourquoi avoir choisi un psychologue comme fil rouge reliant ces trois histoires ?

DJH : Je pense que les psychologues sont devenus les experts modernes de tout *rires*. Nos vies sont tellement influencées par leur langage. Nous observons et réfléchissons à notre existence à travers le prisme du discours thérapeutique. Mais il faut se demander si ce langage correspond vraiment à qui nous sommes et à ce que nous voulons exprimer de nous-mêmes. C’est donc aussi une forme de critique envers les thérapeutes. Du point de vue de Johanne, ce psychologue réduit sa vie, alors qu’elle est déjà suffisamment critique d’elle-même. Il est très courant de penser qu’en cas de problème, il faut consulter un thérapeute plutôt que d’essayer de comprendre par soi-même ou d’écrire. Peut-être devrions-nous chercher notre propre langage pour décrire nos sentiments et nos difficultés. Bien sûr, la thérapie reste utile dans certains cas.

T : Oui, c’est devenu un réflexe sociétal d’aller en thérapie plutôt que de se poser soi-même des questions, même quand on n’en a pas forcément les moyens. Cela peut être très frustrant, car la classe supérieure peut se permettre de consulter et d’apaiser ses problèmes, tandis que la classe inférieure n’en a souvent pas la possibilité.

DJH : Je pense que les classes populaires n’ont peut-être pas non plus ce langage thérapeutique. Mais ce n’est pas forcément un mal : essayer de comprendre par soi-même et trouver ses propres mots pour décrire sa psyché peut être tout aussi valable, voire plus authentique.

T : C’est aussi plus facile quand, comme Johanne, on a une mère et une grand-mère très ouvertes d’esprit, modernes à leur manière.

DJH : Oui, elles sont ouvertes d’esprit, mais elles viennent aussi d’un certain milieu culturel, un peu « bourgeois ». C’est aussi une question de classe dans le film. Il y a tellement d’aspects de ce film qui commencent avec les acteur·ices parce que je les ai choisi avant de commencer à écrire pour chacun des films de la trilogie.

T : Vous avez donc écrit, adapté, le scénario pour elleux ? 

DJH : Oui, bien sûr, chaque acteur peut jouer différents rôles, mais dans mes films, ils sont façonnés en fonction de qui ils sont vraiment, pour que le public puisse y croire. Cela se rattache aussi à la question de la classe sociale que vous évoquiez. Par exemple, pour qu’un film ou une histoire sur la classe ouvrière soit crédible, il faut choisir des acteur·ices qui incarnent cette réalité, avec un langage corporel et une personnalité authentiques.

T : La mère et la grand-mère sont d’abord choquées en lisant le livre de Johanne, mais on perçoit aussi, à travers leur regard, une certaine ambition littéraire et une forme d’opportunité.

DJH : Elles perçoivent aussi l’impact de l’écriture de Johanne sur elles-mêmes. Dans une perspective de féminité et de sexualité, au début, la mère croit devoir agir, intervenir, parler à l’école, aider. Mais peu à peu, elle découvre les qualités littéraires du texte, qui la touchent profondément. C’est là, je crois, toute la puissance de la littérature : elle peut transformer, faire évoluer nos pensées.

T : Lors de leur deuxième lecture, elles sont plus ouvertes, plus réceptives. C’est assez touchant, car ce moment devient réflexif, surtout pour la grand-mère, qui vit sa solitude et repense à ses relations passées avec les hommes de sa vie. Vous avez trouvé une belle métaphore avec l’escalier : la vie où, étape par étape, on croise des personnes puis on les laisse derrière soi. D’ailleurs, où avez-vous trouvé ce gigantesque escalier ?

DJH : En fait, j’habitais tout près de cet escalier et je passais devant très souvent. Ce n’est pas loin de la forêt, mais à l’origine, c’était un tremplin de saut à ski ! Aujourd’hui, il sert surtout aux gens qui viennent faire de l’exercice *rires*. 

T : Pourquoi avoir choisi de placer la grand-mère dans les escaliers pour la séquence du rêve ? Cela paraît assez risqué, voire périlleux.

DJH : Oui, c’était très difficile pour elle pendant le tournage, surtout lors de la séquence des rêves où elle montait et descendait sans cesse. Cela a été éprouvant aussi pour moi, car j’étais en pleine séance d’entraînement tout au long de cette scène.

T : La musique crée une atmosphère très particulière, renforcée par le jeu des nuages, qui donne presque l’impression d’une respiration. Comment avez-vous collaboré avec Anna Berg, la compositrice, pour construire cette ambiance ?

DJH : La musique devait fonctionner comme une sorte de respiration, accompagnant Johanne tout au long du film. J’ai travaillé avec Anna Berg, une jeune compositrice de 30 ans, formée au Conservatoire de Paris et membre de l’Alliance européenne des compositeurs en France. Elle crée de la musique contemporaine et classique, et savait que je voulais utiliser la musique de Benjamin Britten pour la séquence du rêve. Elle a donc repris cette partition, en intégrant certains passages dans sa propre composition. Tout au long du processus, elle faisait des suggestions, que j’écoutais, et le travail allait ainsi dans les deux sens. J’ai beaucoup apprécié sa musique très moderne, mais il m’a fallu du temps pour trouver comment l’intégrer au film, car certaines parties pouvaient être un peu perturbantes et il fallait veiller à ne pas effrayer le public *rires*. Il y a aussi Willingly, une chanson pop que Johanne écoute dans le film. Elle a été écrite par Anna Berg quand elle avait 16 ans ! Les paroles sont très naïves, qui correspondent parfaitement à l’esprit du film !

T : Oui, elle est naïve, mais elle se trouve aussi à un âge charnière, entre l’adolescence et l’âge adulte. C’est une période où le désir prend parfois des formes qui ne sont pas toujours appropriées ou faciles à comprendre. Par exemple, j’ai trouvé le personnage de Johanna, l’enseignante, particulièrement complexe. Comment avez-vous construit ce personnage ?

DJH : Je pense qu’il s’agit de la percevoir à travers son propre regard, sa subjectivité. On ne voit d’elle que ses aspects positifs. Puis, on la découvre vraiment dans la scène avec la mère. Pour beaucoup de spectateurs, ce personnage est décevant. Mais pourquoi ? Parce qu’elle est, en fait, tout à fait normale à nos yeux, et qu’elle n’incarne pas l’objet du désir que Johanne imagine. Elle n’est probablement pas une personne très intéressante. En plus, elle se défend, consciente d’avoir fait quelque chose de mal, d’avoir évolué dans une zone grise d’une certaine manière.

T : Ce qui déçoit, ce n’est pas tant qu’elle soit peu intéressante, mais plutôt qu’elle continue à évoluer dans cette zone grise tout au long du film. Si Johanna avait été Johan, un professeur adulte masculin, cela aurait été totalement scandaleux, presque insupportable à regarder.

DJH : Beaucoup de thérapeutes qui ont vu le film m’ont confié que la manière dont elle réagit et se défend est très représentative du comportement typique des abuseurs.

T : Elle se percevait presque comme une victime dans sa « relation » avec Johanne. Le fait de se voir comme l’objet du désir de Johanne dans le livre la déstabilisait. Pourtant, c’est elle qui est l’adulte dans cette situation, en réalité.

DJH : Elle affirme « c’est moi la victime », mais c’est en réalité une forme de manipulation, un argument classique dans les situations d’abus. Elle sait clairement qu’elle a fait quelque chose de mal, mais où tracer la limite ? Entre intimité et quelque chose de plus sexuel ? Il est évident qu’un événement s’est produit, tant dans son esprit que dans son corps, mais est-ce forcément mal ? Ce qui est fascinant dans ces zones grises, c’est qu’elles ne sont jamais faciles à définir.

T : Oui, le fantasme n’est pas répréhensible d’une certaine manière, mais le passage à l’acte l’est.

DJH : Fantasmer lorsque vous êtes assis l’un près de l’autre, penser à ce que l’autre pense.

T : Il s’agit bien sûr de deux femmes, et à un moment, la mère demande à Johanne : « Es-tu gay ? » ou « Est-ce que ce livre parle de ta découverte de l’homosexualité ? » Mais Johanne ne sait pas vraiment, pour elle, c’est simplement une expression de l’amour. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas apposer d’étiquettes sur vos personnages tout au long de la trilogie ?

DJH : Je pense que l’étiquetage peut à la fois libérer et enfermer. Dire « je suis gay », « je suis lesbienne », « je suis trans » peut être important, mais l’accent politique mis sur l’identité sexuelle est parfois trop fort. Cela peut créer une forme de tribalisme où l’on ne se préoccupe plus que de son groupe, de ses droits, au détriment de la société dans son ensemble. Pour moi, l’universalisme reste essentiel, surtout aujourd’hui, pour cultiver l’empathie envers tous. Et ce tribalisme va à l’encontre de ça. Faire son coming out est une étape positive, mais ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. Ce choix, pour moi, avait donc une portée politique. Et je crois aussi que nous ne devrions pas nous laisser enfermer ou inhiber par ces acronymes, car ils peuvent être à la fois source de libération et, paradoxalement, d’aliénation.

RÊVES de Dag Johan Haugerud au cinéma le 2 juillet. 

AMOUR de Dag Johan Haugerud au cinéma le 9 juillet.

DÉSIR de Dag Johan Haugerud au cinéma le 14 juillet.

Entretien réalisé par Zoé Schulthess Marquet en anglais et retranscrit en français, le 24 juin 2025 à Paris