Critique | Brèves du FID | FID 2025
Découvrir le FID pour la première fois, c’est éprouver une hâte singulière : celle d’un festival où les films semblent surgir de biais, au croisement d’un chemin de traverse, celui des roncettes ou de ses détours. Les 6 annonces de Pierre Creton invitent alors, cloîtré·es dans nos chambres derrière nos écrans, à écarter les rideaux ; il est temps de laisser entrer la lumière et de pénétrer dans le noir. Et puis tout cela se fit en silence.
Fantaisies d’Isabel Pagliai (Prix Premier Film)
Les croûtes sur le corps et les bleus sur les genoux, Louise chante ses larmes et ses états d’âme, seule, dans l’attente de ce qui n’arrivera que dans le creux de cette grande maison, des points dans le noir, le chat dans le bidet. Le pourtant bel élan naturaliste d’Isabel Pagliai s’essouffle pour une mise en scène égotiste délaissant le doux inconfort de la solitude, celle-ci alors dérangée par une voix off d’une lecture de carnet plus si intime. Trop occupée à vouloir montrer, l’affabulation ne permet pas aux fantômes d’exister ni au rêve de s’installer.
A.G
Morlaix de Jaime Rosales
Et si le lieu commun indiquant que les films d’auteurs seraient élitistes était le fruit de ce genre de prétention ? Brasser du vide avec un filtre arty, changer de format et laisser croire une profondeur d’esprit, des propos creux, des idées de mise en scène plates ou grossières (suresthétisation gratuite, diaporamas poseurs) ; voilà Morlaix. Un citadin presque brun et presque ténébreux, suicidaire par romantisme, provoque l’émoi secret d’une lycéenne bretonne, aussi mutique que totalement passive. Chaque plan semble alors nous dire que son cinéaste est un artiste (sans doute incompris) et chaque dialogue que la psychologie n’est pas son angle. Non, Jaime Rosales, malin comme un poux, pour éviter toute critique négative, prend les devants au bout d’une heure, trouvant le moyen de nous faire croire à l’imposture de son projet en faisant de ses personnages les propres critiques du premier tiers du film. Arty au carré, donc ; métafiction… Il veut nous le faire comprendre, il a lu Bresson, il a lu Tarkovski, le cinématographe il connait, oui, il s’alimente (mais il a mal digéré). Discussions platement abstraites et creuses sur la mort, l’amour, la foi ; Jaime Rosales voudrait beaucoup dire, un peu trop sûr de lui. Et malheureusement, de Morlaix, seule une platitude laisserait croire aux candides une profondeur – arty au cuculbe.
A.C
Fabrique de l’archive
Pensées croisées à propos de Nlasa, 08/05/1982,
et Some of you fucked Eva
Au cinéma, l’archive ne peut apparaître comme un simple dépôt du passé. Elle surgit plutôt dans des opérations de ré-énonciation : un geste de réécriture ou de réactivation. Ce qui est appelé « archive » est toujours instable, toujours travaillé par le présent qui la convoque et la manipule, toujours un (re)montage.
Dans Nlasa de Mickael-Sltan Mbanza, ce sont les images d’exploitation minière dans la région du Katanga qui ressurgissent. Les visages et les corps au travail dans les nuances du noir et blanc, traces puissantes du passé colonial toutes droites sorties du musée, dialoguent ici avec des prises de vue contemporaines. Ensemble, les images composent une mémoire stratifiée, continue et lacunaire ; des couches géologiques de ce qui reste et ce qui persiste. Avec 09/05/1982, l’archive bascule du côté de la fabrique. Camilo Restrepo et Jorge Caballero imitent le grésillement de la pellicule, le bruit des machines, la remontée du ruban filmique. Il ne s’agit pas de retrouver des documents existants mais d’en inventer à l’aide des erreurs de l’intelligence artificielle et de (dé)jouer le spectaculaire. L’archive performe l’idée d’archive en exposant l’artifice de sa fabrique, et met ainsi en crise ce qui fait croire ou non à un régime de vérité, notre rapport de croyance aux images. Lilith Grasmug dans Some of you fucked Eva, donne aux archives une forme proliférante, pauvre et instable. Elle mêle vidéos glanées sur Internet à ses témoignages fictifs, palimpsestes sans auteur fixe à la limite du simulacre, qui donnent le sentiment d’un passé en flux qui s’invente et se réinvente au rythme de leur circulation.
Ainsi, du geste de réactivation à celui de l’invention, jusqu’à la prolifération instable, ces films dessinent une même ligne de tension : l’archive n’est jamais donnée comme « vraie ». Elle est fragmentaire, manipulée, rejouée. Elle ne fixe pas le souvenir mais en expose la hantise, rejoignant le mal d’archive décrit par Derrida : l’impossibilité de stabiliser la mémoire, toujours travaillée par le désir et par le présent qui la convoque.
A.G
Si nous habitons un éclair de Louise Chevillotte
(Mention spéciale du Jury de la Compétition Premier Film et Mention spéciale du Jury Renaud Victor)
Des bribes d’instants par des parcelles d’images, des cadres serrés, des bouts de corps, des voix, tout un monde cassé, à repeindre. Aussi minimaliste qu’intimiste, ce premier film très personnel de Louise Chevillotte entrouvre l’espoir radieux d’une grande cinéaste en devenir. Les quelques failles ou autres imperfections propres aux premiers films ne retirent rien aux délicatesses et belles tentatives de montage et de caméra portée que ce deuil tient précautionneusement à l’écran.
A.C
Abortion Party de Julia Mellen (Prix Alice Guy)
Abortion Party déploie un monologue continu, face caméra depuis l’ordinateur, là où les fenêtres se promènent et rebondissent sur les parois de l’écran. L’anecdote d’une fête organisée pour célébrer un avortement devient le prétexte d’un récit plus vaste : l’exploration d’un nouveau quartier, des figures (géométriques) qui l’animent, de l’école d’art fréquentée, et de ce qui, sous la surface des gestes, révèle quelques déterminismes sociaux. Dans une esthétique diaporama, l’on déambule dans ce bricolage numérique, un environnement 3D construit de toutes pièces. Julia Mellen frôle les codes de la conférence performée et propose un autoportrait déjouant la honte et les tabous par la fête, et qui, derrière ses avatars numériques, affirme une manière irrévérencieuse et joyeuse d’habiter le réel.
A.G
Si petite de Jacques Meilleurat
Que ce soient ceux de Dostoïevski dans Les Frères Karamazov ou ceux de Bernanos dans La Joie, les mots, pourtant omniprésents, ne sont jamais assez forts chez Jacques Meilleurat. « Je n’ai jamais très bien compris cette phrase en réalité. » Cet appel aux grands auteurs des siècles passés permet ici au cinéaste de l’écrit et du verbe de réfléchir le mal sans jamais le conclure. Si petite est peut-être finalement la possibilité d’accéder aux mystères horribles de ce bas monde. Il propose l’exposition verbale d’un fait divers atroce où deux parents ont torturé puis tué leur bambine handicapée. Dans un noir et blanc très contrasté, le récit poignant prend des formes de clair-obscur sur la condition humaine : d’où viendrait notre lumière ? Meilleurat exprime ses limites : « C’est ma propre faiblesse face au mal. » autant que son biais psychologique, cette subjectivité qu’on ne peut trancher d’objectivité : « Tantôt j’ai peur d’avoir inventé de toute pièce les événements dont je parle, comme pour me confirmer d’avoir raison d’être horrifié. » ; il invente donc une nouvelle forme d’images, singulièrement mentales.
A.C