Critique | frágil como una bomba de Tomas Cali, 2025
Projeté dans la section court-métrage de la Compétition Contrebande du FIFIB 2025, Frágil como una bomba est un documentaire aux allures de détonation signé Tomas Cali. Cette fresque courte et percutante présente Tatiana, alias LaVenganza66, migrante argentine, lesbienne, aux troubles mentaux affichés sans honte, joueuse compulsive de GTA Online, et survivante de blessures profondes. Elle déborde de colère, de sarcasme, de tendresse. Le récit commence par faire l’inventaire de son exil : « quatre mandarines, des serviettes, des mouchoirs, 300 balles et de la marijuana », et surtout les maillots de foot subtilisés à sa mère, unique trace matérielle d’une filiation qui, comme sa langue indigène (le guarani), lui échappe.
Si la violence du départ est palpable, le film évite la posture victimaire car la vie de Tatiana est un jeu de rôle où se mêlent pulsion de mort et furieuse envie de vivre. Elle balance des punchlines sans détour « mon joint, c’est mieux que la Sertraline » en réponse à ses ordonnances médicales qui lui servent à « ne plus être folle ». Tatiana veut tuer les mecs qui violent ses amies, pleure son père sobre trop tard, craint le silence d’un studio vide qui la mettrait face à ses monstres, rêve d’être cheffe mais n’a jamais été prise au sérieux. Certes le film met à nue sa fragilité sans jamais sombrer dans le pathos, mais ce n’est pas simplement parce que Tatiana est cette force vive inarrêtable, c’est aussi le montage de Tomás Cali qui frappe juste. La caméra capte les instants de fuite dans le rire, la provocation, les pixels. Car dans Frágil como una bomba, les moments de respiration se trouvent surtout dans le chaos numérique de GTA, de Tatiana et des autres joueurs, retransmis plein cadre à l’écran. La jeune femme trouve dans ce jeu vidéo à la grande liberté une opportunité de désobéissance, des vengeances qu’elle peut enfin mener à terme, quitte à se faire virtuellement arrêter par les policiers, tirer dessus par les militaires, et parfois soignée par des infirmiers virtuels. Le jeu devient un exutoire. « Le feu rouge on s’en bat les couilles ! », hurle-t-elle à travers son micro.
Et pourtant, au cœur de ce tourbillon, une lumière : Pierre, au quotidien tranquille, cinq fruits et légumes par an, fan de rugby, devient pour elle un improbable compagnon de route. Grâce à son annonce postée sur Twitter (!) Tatiana décroche un emploi d’aide à la personne pour cet homme handicapé qui deviendra son ami. Elle est payée en euros. Précision importante, car « le dollar c’est démodé », dit-elle, avant de conclure sur les pesos de son pays natal : « Je pourrais me torcher avec, ça vaut moins que mon PQ. ». Bien sûr, son humour est aussi une stratégie de survie. Derrière ses provocations et son faux air de dictatrice autoproclamée se cache une solitude poignante. Aux accusations de sa sœur d’avoir un père alcoolique, elle lui répond qu’elle aussi ! Frágil como una bomba est un court-métrage qui fusionne rébellion, humour et pixels. Tatiana brûle l’écran et nous laisse avec une tension permanente : celle d’une vie qui ne tient qu’à un fil, mais qui refuse de rompre.

