Regarder dans l’obscurité

Critique | Exposition | Événement Apichatpong Weerasethakul

Dans le cadre d’un focus pour le Festival d’Automne et sur invitation du Centre Pompidou, Apichatpong Weerasethakul investit le Pavillon Brancusi avec l’exposition Particules de nuit, qui s’accompagne d’une rétrospective intégrale de ses films et vidéos, et d’une expérience en réalité virtuelle intitulée A Conversation with the Sun. Pour l’occasion, il transforme l’ancien solarium en un espace inversé – un négatif – et dévoile son architecture intérieure par des reflets de rêves et des fragments d’existences. Il tisse ainsi un dialogue entre ses expérimentations artistiques et invite, en regardant dans l’obscurité, à construire notre propre errance. Deux, trois espaces ou une infinité de mondes se frictionnent, entremêlant des dispositifs et des imaginaires qui en révèlent la part d’ordinaire (ce que nous ne voyons pas, ce qui nous échappe). Dans cet univers où la lumière semble émaner de l’obscurité, il faudra, comme les yeux qui s’adaptent à la nuit, ajuster notre regard.

Qu’arrive-t-il à mes yeux ?
Ils sont ouverts, mais je ne vois rien.
À moins qu’ils soient fermés ?
Peut-être faut-il le temps que tes yeux s’habituent à l’obscurité.

Apichatpong Weerasethakul prévient d’emblée : il faut du temps. Pour voir. Pour comprendre. Le geste de création ne naît pas dans l’éclat de la lumière, mais dans le néant, cet espace d’attente, de gestation, d’où jaillissent – avec un peu de patience – les images. Il faut alors s’acclimater aux ténèbres, à l’intangible puis tout réapprendre. Les faisceaux lumineux invitent à entrer, laissant le chemin se poursuivre. Un monde élargi apparaît, prolongeant le monde humain au non-humain. Enchevêtrant plusieurs niveaux de réalité, le regard se transforme. Le rond d’un hublot, les reflets, les surimpressions. Un crabe qui court, et soudain les formes géométriques deviennent palpables. Les mondes s’interpénètrent, les images se superposent.


Apichatpong Weerasethakul, Memoria, Boy at sea
© Kick the Machine, 2017

Le non-humain se mêle au virtuel – une conversation avec le soleil. Le protocole est plus strict, une expérience en trois panneaux. Une grotte, des roches comme des ruines, et chercher des moyens de les observer. Il faut explorer le faire – il est nécessaire d’expérimenter l’espace. Ne plus être statique, le mouvement, toujours, et tout remettre en question. Il ne s’agit pas seulement de projeter une image ou de guider un regard, mais de redéfinir la relation à ce qui est montré. La quête de sens par la contemplation.

Ils prétendaient voir pour ne pas avoir peur.

Apichatpong Weerasethakul sur X

Par ces déambulations et par l’expérience physique de l’espace cinématographique, un processus, celui de la re-création, et un geste, celui de la remémoration. À travers des extraits de journaux filmés, nous reconstituons des souvenirs et des boucles mémorielles qui deviennent des capsules. Pourtant, ce ne sont pas des souvenirs. Tout ce que nous voyons est réel. Chaque image, chaque détail, tout est réel.

Dès lors, que reste-t-il des rêves ? La frontière est trouble. Le cinéaste interconnecte le tout et laisse les murmures curater ces projections intérieures. En documentant le sommeil et celui de son entourage, aussi bien humain que non-humain, Apichatpong Weerasethakul se promène d’une vie à l’autre, du corps à la mer, de la chambre à la forêt, de la rue à la mémoire et poursuit ainsi son exploration du réel. 

Apichatpong Weerasethakul, Durmiente / Async © Kick the Machine, 2021 – 2017

Exposition Particules de nuit à découvrir jusqu’au 6 janvier 2025 – Rétrospective intégrale des films et des vidéos jusqu’au 9 novembre 2024 – Expérience de réalité virtuelle A Conversation with the Sun jusqu’au 14 octobre 2024.