Édito | Festival de Cannes Jour 8
Mardi 21 mai, trois nouveaux films de la Compétition étaient présentés : Anora de Sean Baker, Marcello Mio de Christophe Honoré et Parthenope de Paolo Sorrentino. Trois films réalisés par des hommes, trois films dont le personnage principal est une femme. La sélection la plus prestigieuse du Festival de Cannes est en passe de devenir la pire en terme de qualité, mais aussi d’imaginaires.
Parmi les héroïnes principales de plusieurs films en lice pour la Palme d’Or, l’on retrouve des femmes capables de changer le monde, enpouvoirées par le récit, qui se résigneront peu à peu à un confort moindre, aux antipodes du caractère révolutionnaire que l’on serait en droit d’attendre d’elles. Emilia Perez ou The Substance pourraient compléter la liste de ces « odyssées féminines » portées par des « femmes fortes », mais dont la teneur féministe reste encore à démontrer. Dans le premier, on cherche toujours à comprendre pourquoi cette avocate s’attache autant à aider un narcotrafiquant, même après avoir reçu la somme d’argent qui pouvait justifier son action dans un premier temps. Le droit est un champ défaillant. Chez Sean Baker, il en est carrément déserté. Dans Anora, Ani, une jeune travailleuse du sexe new-yorkaise, nous est présenté par un travelling introductif dans lequel on voit différentes femmes danser et se frotter au sexe d’hommes. Les culs sont aussi une affaire de morale ; mais celle de l’héroïne fléchit subitement dans un dénouement décevant. Alors qu’elle s’est mariée par amour à un jeune oligarque russe, elle acceptera d’annuler l’acte juridique sans demander aucune compensation, malgré l’humiliation subie durant la moitié du film, alors que le droit était de son côté. Le droit est un champ défaillant certes, mais doit-on l’abandonner même lorsqu’il est de notre côté ?
Les femmes puissantes sont des femmes intelligentes nous a-t-on dit. L’intelligence, c’est choisir l’entraide plutôt que la compétition a-t-on compris. The Substance ne veut pas être un film intelligent, ni être jugé sur ce terrain-là. Il a beau être réalisé par une femme, il a beau mettre en scène deux femmes, il a beau parler d’un sujet qui blesse particulièrement les femmes (la beauté, le vieillissement) ; il met en compétition leurs deux corps lorsqu’elles pourraient s’entraider. Parthenope, la créature mythique que met en scène Sorrentino, est présentée comme une « épopée féminine dépourvue d’héroïsme mais éprise de liberté » des années 1950 à nos jours. Étrange : la Parthenope jeune occupe 95% du film. Au lit comme devant une caméra, l’âge de péremption d’une femme se situerait-il aux alentours de 30 ans ? Le réalisateur italien filme une muse, une immaculée conception tout droit sortie de ses rêves les plus lubriques. Parthenope est une femme sortie du crâne d’un dieu-cinéaste, vue, aimée et sexualisée par des hommes. Elle est une brillante universitaire nous dira-t-on. Oui, en effet : elle a fait une thèse sur un sujet qu’on a choisi à sa place car son désir d’étude ne plaisait pas à son directeur. Mais elle a aidée une femme enceinte à valider quand même !! Oui, en effet : le féminisme est devenu l’anecdote du film, et le pouvoir d’agir dans le monde réduit à une bonne scène. Voilà ce qu’accomplit la femme chez Sorrentino : des anecdotes, une vie rangée. Oui, en effet, mais au moins son cul à elle n’est pas une affaire de morale.
Au dégoût qu’inspire une compétition mortifère que l’on pourra bien renommer made in Saint Laurent (Emilia Perez, Les Linceuls et Parthenope ont été produits par Anthony Vaccarello), les autres sélections viennent plus ou moins sauver la mise. Alexis Langlois et ses reines lesbiennes à la Semaine (il a été relégué en séance spéciale, ce qui en dit long sur la qualité des premiers films actuels), les héroïnes corses de de Peretti et Colonna à la Quinzaine et Un Certain Regard… À son image présente une qualité, qui devient un luxe en comparaison du reste des films présentés : Antonia est un sujet pensant, consciente de l’impasse de sa relation avec un activiste, qui enverra tout valdinguer pour tenter l’expérience du photojournalisme en zone de guerre. La déception vient à plusieurs reprises d’une volonté esthétique assumée : l’intensité plutôt que la subversion. Des scénarios farfelus (Audiard) ou jusqu’au-boutistes (Fargeat) effleurent à peine le potentiel politique des nouvelles représentations que nous attendons à un Festival de Cannes. Peut-être aurait-il fallu sélectionner le film de Patricia Mazuy, qui lui, fait le choix de « l’expérience radicale » en faisant rencontrer l’inrencontrable, la bourge et la prolo, Huppert et Herzi. Voilà deux portraits de femmes pas sages pour un sou !