Critique | It doesn’t matter de Josh Mond | Acid
Quelque part en Amérique, entre les « bitch » proférés à foison par les deux héroïnes de Tangerine de Sean Baker et la myriade d’anges en cavale dans la Grosse Pomme (Lillian dans The Sweet East, n’importe quel personnage des Safdie, beaucoup de Ferrara…), un autre cavalier seul et céleste arpente sans but territoires et États. Et ce nouveau spécimen à ranger dans le précieux rayon indépendant du cinéma étatsunien, on le doit à Josh Mond, le réalisateur de It doesn’t matter. L’on saura finalement peu de choses de la biographie d’Alvaro, si non que la vie est une guerre permanente, une interminable suite d’épreuves et emmerdes. Comment font les autres pour s’en sortir, avoir une famille un travail fixe et tout le tintouin sans jamais prendre une ‘tite dose d’acide ou l’avion pour se casser loin d’ici ???
Alvaro semble traversé par la vie plus que le contraire. Il se rappelle, il reconstitue la chronologie des faits. Entrecoupé d’une multitude de cartons précisant l’État américain et l’année à laquelle se situe le souvenir, le film se veut pure fragmentation séquentielle, un objet indéfini en perpétuelle mutation. Car It doesn’t matter pourrait tout aussi bien être un documentaire qu’une fiction, en même temps qu’il est, par moments, un film d’animation ou encore un roman photo (le temps d’une scène contenant l’un des plus beaux trucages du Festival). À la recherche d’un statut, d’une place ou d’un sens, film et personnage ne font donc plus qu’un, un contre tous et tous contre un.
À la différence des films indépendants qui pourraient graviter telle une galaxie de références autour de lui, le film de Josh Mond présente la particularité d’avoir pour personnage principal un homme qui ne va pas bien, et dont on pourrait supposer quelques troubles psychologiques, en plus d’une sérieuse addiction aux drogues dures. Renversant alors la mécanique d’une course infinie vers un idéal fantasmé (Good Times, Go Go Tales…), le héros traverse l’Amérique en déambulant, comme porté par le vent, plutôt inquiet pour sa survie au jour le jour. Et c’est ainsi qu’il évite toute personne porteuse d’un symbole de ce qu’est le pays aujourd’hui, rencontrant plutôt les marginaux à son image, tout aussi déglingués : un homme qui veut lui tirer dessus, un pote cinéaste (à l’origine de ce film) ou encore un père de famille qui se drogue et baise à côté de sa fille à Hawaï… mais là, c’en est trop même pour Alvaro. Cette galerie de marginaux poussés à vivre individuellement dans leur bulle de folie n’ont qu’un seul (et drôle de) point commun : Alvaro les appelles tous ses « bro », entre deux insultes ou au beau milieu d’une scène complice.
À quoi peut bien aspirer cet homme ? Ne sommes-nous pas trop indulgents envers lui ? Pourquoi continue-t-il ainsi à enchaîner des doses à nous en miner le moral ? Alvaro ne répond d’aucun système, sa trajectoire d’aucune logique rationnelle : il est de ces esprits (trop) imprévisibles qui évoluent comme en parallèle du commun des mortels et de la marche de l’Histoire. Une pure incarnation de liberté totale, jusqu’à l’incandescence certes, comme une piqûre de rappel des bienfaits du contrat social. L’histoire d’un homme qui goûta à la liberté jusqu’à en vomir, jusqu’à la tatouer sur son bras, en refusant d’y mettre un point final : it doesn’t matter
It doesn’t matter de Josh Mond, avec Jay Will, Christopher Abbott, prochainement au cinéma