Critique | Vingt Dieux de Louise Courvoisier |Un Certain Regard
Après la sortie de l’album culte d’Orelsan en 2009, Perdu D’Avance, et de livres comme Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu en 2018, le cinéma français développe désormais un goût pour les premiers films situés en dehors des agglomérations parisiennes, avec un alliage assumé entre « genre » et film social. Dumont était déjà sur le terrain en pionnier, mais il existe mille autres exemples : les frères Boukherma (dont le prochain film est une adaptation des Enfants après eux, CQFD) ou dernièrement Super Bourrés, réalisé par Bastien Milheau l’an dernier.
Vingt Dieux s’inscrit dans ce sillage là : le premier film de Louise Courvoisier (fraîchement diplômée de La Cinéfabrique) narre l’histoire de Totone, un jeune Jurassien adulescent de 18 ans qui se met bille en tête de réaliser le meilleur comté de la région pour gagner de l’argent et s’occuper de sa jeune sœur, qu’il élève seul depuis la mort de son père.
Là où Super Bourrés prônait une mise en scène américanisée de la comédie par-dessus tout (au détriment d’un scénario malheureusement trop balisé), Vingt Dieux étonne justement par son écriture. La fabrication d’un fromage est ardue, physique, et la caméra de Courvoisier répond à un processus lent de transformation. Totone tâtonne littéralement durant tout le film, pour ne faire ne serait-ce qu’une seule meule de Comté, ou encore dans ses relations intimes, amicales et familiales après le drame survenu en début de film.
On trouvera dommage que là où le film est très frontal sur la fromagerie, il l’est beaucoup moins sur le rapport au sexe et à sa re-découverte pour Totonne : tout est formellement très prude, traité par la comédie comme si la caméra était gênée ou timide à l’égard de ce qu’elle pourrait filmer. Le film aspirait à cette vibration en plus, avec une pellicule qui intensifie autant les peaux et les corps rugueux de nos personnages que les cuves de laits fermentés. La première scène de la chanson du Limousin est assez explicite : durant une fête de village, Totonne effectue un strip-tease selon ce que demande en chanson une foule hilare, en allant jusqu’au nu intégral, qui sera alors filmé en contre-champ, offrant au spectateur une (belle) paire de fesses en guise de consolation.
On saluera une certaine finesse des références, qui ne lourde pas le film d’un imaginaire de cinéma qui n’est pas le sien : un plan large westernien par-ci, un bal de village très clipesque par-là. On découvre Vingt Dieux comme on trouve le magnet manquant d’une région de France spécifique pour notre collection sur le frigo : ce mois-ci le Jura, le mois prochain peut être l’Alsace, qui sait !
Vingt Dieux de Louise Courvoisier, au cinéma le 11 decembre 2024