Critique | Locust de KEFF | Semaine de la Critique
KEFF l’a souligné plusieurs fois lors de la présentation de son film à la Semaine, Locust est un film taïwanais. Bien sûr, Taïwan, c’est une petite île à la géopolitique particulière, d’autant plus depuis l’arrivée là-bas des semi-conducteurs, mais c’est aussi, nous dit-il, 23 millions d’habitants. Voilà la vie de l’un d’entre eux, Zhong-Han. Muet, il vagabonde entre homme-à-tout-faire dans un restaurant traditionnel établi depuis plus de 70 ans et petits larcins en bande pour le compte d’un mystérieux mafieux. Les radios et les télévisions diffusent les manifestations de 2019 à Hong-Kong et agissent comme le miroir d’une situation moribonde vis-à-vis de l’ogre chinois. Et si c’était Taïwan, les suivants ? Ne s’y trompant pas, KEFF filme ses concitoyens manifestés en faveur de la cause indépendantiste, des post-it sur des murs dans la rue… Un malheur plane et c’est comme si la mise en mouvement du peuple était susceptible de l’en prémunir.
Problème. Il y a un programme sur le feu, une fiction à faire avancer. L’ogre, c’est aussi le récit. Au fond, KEFF se comporte avec son film comme le nouveau propriétaire du restaurant se comporte avec les tenanciers : il faut capitaliser sur ces endroits plutôt que les faire vivre. Un film sur une modeste famille de restaurateurs taïwanais qui tentent de joindre les deux bouts ? Pas assez accrocheur, pas assez luxueux ! Alors fatalement, passé la première heure de mise en place des lieux et des personnages, une fois filmées la boîte de nuit et le magasin de la jeune fille dont Zhong-Han tombera amoureux, la mécanique se met en place. Plus rien d’autre que le moteur scénaristique n’existe, plus aucune place pour des moments de vie. Bien sûr, le tout est étouffé, comme toujours dans les mauvais films, par une photographie juste-comme-il-faut, par une musique omniprésente qui souligne tous les effets recherchés, un peu comme un promoteur immobilier s’assurerait de la bonne compréhension du projet par ses investisseurs, à coup d’études de marché et de présentation PowerPoint aux diapositives toutes similaires. Dommage, il suffisait pourtant, pour trouver un mélodrame urbain et vengeur, de lorgner sur Le Gang des bois du temple. Fais ce que je dis, pas ce que je fais, Locust suit ainsi une voie esthétique dont il prétend dénoncer les mécanismes sous-jacents, et rien ne semble pire qu’une démarche aussi aveugle et malhonnête.
Locust de KEFF, avec Liu Wei Chen, Rimong Ihwar, prochainement au cinéma