Critique | The Substance de Coralie Fargeat | Compétition
Sous couvert d’expérience soi-disant radicale, The Substance n’est en réalité pas très au clair sur ce qu’il voudrait être. Le film évolue dans un entre-deux formel étrange, un peu comme si la bataille entre Elisabeth Sparkle – THE MATRIX – et Sue – THE OTHER SELF – se rejouait esthétiquement. Elisabeth, une star en fin de vie, s’injecte une substance supposée créer une meilleure version d’elle-même, surtout plus belle, Sue ; peu à peu, Sue provoque la décrépitude du corps d’Elisabeth et la transforme en monstre. Scénario contre matière. Autrement dit, plutôt que de ne faire qu’un, comme le répète à l’envie l’interlocuteur de THE SUBSTANCE au téléphone, Coralie Fargeat réalise deux films en un sans pour autant trouver l’équilibre qu’elle prêche.
D’un côté, il y aurait l’exercice de style scénaristique, celui qui, faisant s’affronter deux forces, les mène l’une et l’autre à la destruction. Ce n’est pas tant que Fargeat est à l’étroit dans son scénario : c’est plutôt qu’elle n’est pas bonne écrivaine. Déjà The Revenge s’avérait boiteux, ici The Substance manque de se casser la gueule à chaque nouvelle séquence. Tout est entièrement prévisible. On a compris qu’Elisabeth était mal dans sa peau dès la première minute de film, on sait que les règles qui sont énoncées au moins 15 fois concernant l’utilisation de la substance sont là pour être transgressées, on devine bien sûr que toutes ces actions mènent à la catastrophe… Pourquoi passer une heure de film à souligner ou répéter des éléments dont on comprend bien la portée et l’intérêt pour la suite du récit ? On ne compte pas le nombre de scènes où les deux se font rabrouer par le SAV de THE SUBSTANCE, deux rêves permettent de créer une petite collection de scènes dégoûtantes et de préfigurer le désastre à venir sans pour autant n’avoir de conséquence sur la dramaturgie – ce qui les rend vaines -, le montage alterné insiste lourdement sur l’ascension de Sue contre la décrépitude d’Elisabeth, tous les dialogues énoncent en permanence des évidences thématiques ou visuelles, et tout ça bien sûr reconduisant les clichés comme quoi les femmes envient le corps de leurs voisines. Au bout d’une heure trente de film, il y a de quoi souffler. Si vraiment tu voulais montrer des corps en mauvais état, pourquoi ne pas faire un documentaire dans un bloc opératoire ? De Humanis Corporis Fabrica avait choisi son camp : le corps humain et rien d’autre.
De l’autre, Coralie Fargeat excelle à travailler la matière. Elle est à l’aise, ça l’amuse, c’est un festival : chair humaine ou animale, à manger, transpercer ou malmener, l’empire du trash toujours renforcé par des effets sonores et de montage joyeux et débridés. Ce n’est que dans les quinze dernières minutes que l’inventivité de la cinéaste se déploie enfin pleinement, le scénario ne devenant plus qu’un prétexte. Pourquoi ne pas l’avoir envoyé chier plus tôt ? Dès l’instant où Sue se débarrasse d’Elisabeth, l’inconnu revient. Le scénario ne dicte plus sa loi, ce sont les effets visuels et sonores. La question n’est plus « où va-t-on ? » mais « jusqu’où va-t-on aller ? ». Le grotesque s’assume, et Fargeat a décidé qu’on irait loin – le monstre met des boucles d’oreilles et se maquille, dans une scène à la fois écoeurante et touchante. Grand écart réussi, enfin le film trouve une forme d’équilibre dans la radicalité de son approche esthétique. Sans parler du bain de sang final, il est évident que Coralie Fargeat touche le cœur de son cinéma… deux heures trop tard.
The Substance de Coralie Fargeat, prochainement au cinéma