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Critique | The Apprentice d’Ali Abbasi | Compétition

Sous ses faux-airs de film-qui-arrive-au-bon-moment à l’approche des élections présidentielles américaines cet automne, The Apprentice d’Ali Abbasi est un très bon biopic, reposant sur l’image actuelle de Donald Trump et se proposant de remonter à sa source, à sa création. Le film suit un jeune Donald encore salarié chez papa dans le New York des années 1970, ainsi que sa rencontre avec l’avocat Roy Cohn (Jeremy Strong), de celles qui changent des carrières. Il s’agit donc de voir comment Trump a tout appris aux côtés de Cohn, faisant presque du maître le personnage principal du film, sinon son centre de gravité.

Cette fresque de deux heures est traversée de quelques moments clés de la vie de l’ancien Président des États-Unis, des litiges juridiques que rencontrèrent la société familiale au début de son ascension à sa rencontre avec Ivana en passant par la construction de la Trump Tower. C’est une véritable leçon de Monopoly que propose Abbasi en mettant en scène un avocat sans scrupule, sexiste et premier à recourir à des moyens illégaux (l’intimidation par exemple) pour parvenir à ses fins. Mais aussi une leçon d’interprétation tant Jeremy Strong éblouit en avocat lunaire, remuant la tête comme une figurine collée sur le devant d’une voiture des années 2000, incarnant avec précision cette frange de la haute-société américaine irrespectueuse à l’égard de tout ce qui n’est pas blanc ou bourgeois, quitte à être un homo homophobe par moments. Ainsi, les trois leçons qui permirent au mentor de devenir un cador, passent à la moulinette trumpienne pour être recrachées en fin de film quasiment à l’identique : 1) attaquer ; 2) la vérité est ce que je dis et rien d’autre ; 3) toujours revendiquer la victoire, même quand on perd. La longévité de ce mantra glace le sang.

The Apprentice impressionne surtout par la construction de ses personnages, notamment le trio composé des deux duos Donald/Ivana et Donald/Roy. L’idée d’un mariage à trois est même plus que suggérée lorsque, au mariage des Trump, c’est Cohn qui attrape le bouquet. C’est en revanche dans la sphère privée que le film ose une incursion courageuse, lorsque le jeune Donald Trump découvre au cours d’une soirée que son maître est en réalité homosexuel. Le biopic travaille alors l’idéologie homophobe de l’homme d’affaire, qui oublie convenablement ce détail mais craint d’attraper le SIDA lorsque Cohn le touchera, une fois atteint. Il y a une concurrence irrésoluble entre Roy et Ivana, le premier ayant découvert et fabriqué le mythe Trump, la seconde ayant le privilège du mariage légitime avec l’homme d’affaires. Il ne peut être qu’un homme en crise sexuelle, littéralement impuissant de par son excessive prise médicamenteuse, mais aussi sur le plan symbolique du fait de son homophobie.

Cette crise devient alors le plus grand défaut de Trump, de sa propre faute au regard du discours essentialiste qu’il ressort en permanence, et qui le mènera d’ailleurs à s’éloigner de Roy Cohn une fois qu’il apprendra sa maladie. Sauvé par la deuxième règle qui dicte sa vie, il ne lui restera plus qu’à réécrire l’histoire de sa vie en omettant cette information. L’hypothèse est d’ailleurs soulevée dans le film lorsque Abbasi l’imagine appeler un journaliste aux opinions politiques opposées pour rédiger sa biographie ; parfait moyen de montrer l’impossibilité de retracer en un simple film les 1001 casquettes de celui qui finirait par devenir Président. Par ces différentes lignes de force que travaille le film, il tricote autour et avec finesse une toile de références à l’homme que Trump est devenu aujourd’hui : l’origine du slogan MAGA, devenir Président est la chose qu’il ferait s’il n’avait plus d’argent… 

En dressant ainsi un portrait à la fois critique et sincère (voire touchant) de l’homme d’affaire, ce jeune prodige new-yorkais empâté et peu attirant, The Apprentice dérive sereinement dans le registre vulgaire, la véritable essence de ce personnage que la fiction n’aurait jamais pu inventer. On voit ainsi Trump se faire triturer par des chirurgiens pour lui retirer la graisse du ventre et lui découper une partie du crâne pour faire disparaître son début de calvitie, ou encore comparer son visage à une orange… Sous la peau, l’homme n’est peut-être pas pulpeux, mais son jus méritait bien une première analyse.

The Apprentice d’Ali Abbasi, prochainement au cinéma