Critique | Amélie et la métaphysique des tubes de Mailys Vallade et Liane-Cho Han | Séance Spéciale
Naît-on réellement à notre naissance ? Ne devient-on pas un être humain plus tard, lors d’événements précis dans notre vie qui forgent notre destinée ? Amélie Nothomb a répondu à cette question par un livre, Métaphysique des tubes (2000, Albin Michel), une autobiographie romancée dans laquelle elle raconte les trois premières années de sa vie au Japon, durant lesquelles elle se vit comme un Dieu (le fameux tube du titre) qui va devenir un véritable être humain grâce à trois moments décisifs. Un demi-siècle plus tard, voilà que naît une petite fille (Amélie Nothomb considère ses livres comme ses enfants, et leurs adaptations comme des petits-enfants) sur les écrans cannois, une adaptation en film d’animation, une première réalisation, mise en scène par Mailys Vallade et Liane-Cho Han.
Au commencement était la parole
Le livre était un monologue intérieur d’Amélie, Dieu tube omnipotent par qui tout passe sans s’arrêter, en une boucle infinie. Amélie et la Métaphysique des tubes prend cette matière littéraire pour en faire le carburant du film, une plongée en enfance, ce temps irréel où tout est merveilleux, le chocolat blanc offert par mère grand comme les fleurs au printemps. La voix off, aussi fluide que l’eau tombant sur Amélie un jour de pluie, jamais posée comme illustration sonore de ce qui se déroule à l’image, ouvre le film à l’imaginaire, laissé en suspens par un dessin jamais fermé. A la manière de Takahata (Mes Voisins les Yamada, Les contes de la princesse Kaguya), le dessin se fait esquisse et sensations des souvenirs, dans des camaïeux de pastels roses verts jaune sans traits, sans limites.
De l’abstraction des premières séquences du film, dans laquelle Amélie divin n’est qu’une plante pour ses parents, le décor va se construire et s’affirmer au fur et à mesure de la découverte de son microcosme, sa maison, son jardin, le Japon. Peu à peu, la spectacularisation onirique de l’animation devient totale dans les dernières séquences de la plage, avec ce plan messiaque, où Amélie coupe l’océan en deux pour mieux observer les poissons qui le peuple. A ce titre, le travail de précision dans la reconstitution de la maison japonaise habitée par la famille belge Nothomb donne à voir toute une époque, celle du Japon une génération après la Seconde Guerre Mondiale, qui rentre dans une nouvelle modernité, mais toujours blessé par les traumatismes du passé. C’est la nounou d’Amélie, Nishio-san, qui raconte l’horreur de la guerre pendant qu’elle cuisine, avec chacune de ses actions comme métaphore imagée de son histoire : des bouts de carottes qui tombent dans la poêle comme des bombes, le mixeur qui fait le bruit d’une alerte.
Plonger dans Amélie et la Métaphysique des tubes, c’est contempler le paradis perdu d’une enfance heureuse, ce temps béni où tout est merveilleux. Le plus beau choix d’adaptation des cinéastes est finalement de modifier le message sur le rapport à l’enfance et aux souvenirs de cette période. Là où Nothomb était assez tragique (« Ensuite, il ne s’est plus rien passé. », dernière phrase du roman), Mailys Vallade et Liane-Cho Han cultivent cette idée que Amélie existe parce qu’elle se souvient de son enfance, et que si vivre c’est faire face à quelques chagrins, les bons souvenirs, eux, restent.
Amélie et la métaphysique des tubes de Mailys Vallade et Liane-Cho Han, le 25 juin au cinéma