Contrôle surprise ! L’édito des émotions

Édito | Jour 10 du Festival de Cannes

Dernière journée de Festival catastrophique : une coupure d’électricité empêche une partie de l’équipe de boire un dernier café en ville, la panique s’empare de la petite gare de Cannes, mais les festivaliers de l’extrême savourent les ultimes instants de cette 78e édition à l’intérieur d’un Palais passé en circuit autonome – le seul lieu où il y a encore de l’électricité en Cannes, on se croirait chez Östlund.

Jaloux de nos copaines qui nous ont raconté leurs plus belles images du Festival, je propose donc à la rédaction d’en faire de même. Contrôle surprise, vous avez quelques heures pour me répondre ! Voici les copies (non corrigées), offertes à nos lecteurices, mais aussi à la rédaction, qui découvrira en même temps que vous les autres réponses…

« Dimanche soir, incapable de me défaire de mes habitudes parisiennes, je m’en vais courir sur la plage de la Bocca. En traversant la route pour rejoindre la plage directement attenante, tout d’un coup, la baie cannoise s’ouvre devant moi, rose comme la baie de Genièvre, la montagne au loin, la voie ferrée sur ma gauche. Prise en étau entre la mer et le train, réminiscences siciliennes. Je cours en observant les gens qui flânent avant de rentrer reprendre de bonnes habitudes. Demain c’est lundi, pour eux. Le temps n’est suspendu que pour le cinéma (Bi Gan a raison). Les Boccaciens me sourient tous quand je passe. Personne ne doit jamais aller courir aussi proche de la route. Je dépasse une table de pic-nique où s’est installée une grande famille musulmane, partageant un repas vue sur mer, pendant que les enfants jouent sur la plage. À chacun ses façons de vaincre le blues du dimanche soir. Je rentre au pas de course. J’écoute les crapauds sur la terrasse et je regarde le feu illégal allumé tous les soirs sur les abords de la voie ferrée. Il est dimanche soir, demain c’est lundi. Les autres vont bientôt rentrer de Magellan. » – Zoé Lhuillier

« Le moment le plus marquant de mon festival fut pendant la séance de Sirat avec Nicolas et Grégoire. On était extrêmement tendu par le film, la seconde mine venait d’exploser, quand soudain le siège de la rangée d’en face fait un bruit terrifiant de ressort qui se casse. Grégoire affolé se tourne vers nous en disant « Le siège va exploser lui aussi » et s’en suit entre nous trois un fou rire de stress pendant au moins cinq bonnes minutes. » – Corentin Ghibaudo

« Mon meilleur souvenir à Cannes, c’est découvrir des films de la sélection pour la première fois. Avoir ce sentiment que l’on est entrain de vivre quelque chose de chouette, de beaux moments de cinéma. Sortir des séances avec les copaines et échanger, débattre parfois, ne pas être d’accord ou adorer mutuellement une œuvre. Je me souviendrais particulièrement de Testa o Croce avec Faezeh, coup de cœur immédiat. Parler encore et encore des corps émus dans le film, d’acteur·ices sublimé·es par la pellicule et les lumières. Rire aussi, parce qu’on l’on évoque l’érotique des corps masculins et à quel point c’est réjouissant de le voir mis en images. Je partirais de mon tout premier Festival de Cannes avec ces images de corps dans l’espace, de musique qui transpercent, d’images folles de beauté. » – Zoé Schulthess Marquet

« Moi, si je devais résumer mon Cannes 2025, je dirais que c’est d’abord des rencontres, avec des inconnus bien connus, avec des images, des sons, des vibrations. Mais c’est aussi la rencontre avec ses privilèges, si précieux car précaires et éphémères. Pendant une dizaine de jours, le temps s’arrête ou alors s’accélère, l’espace se réduit ou alors se déploie. Tout demeure à la fois plus grand et plus resserré. À travers une grande fenêtre cristallisant la lumière, on observe le monde, presque passif-ve, et l’on s’émeut à l’apparition du logo du Festival de Cannes et de la musique de Saint-Saëns. Le temps est suspendu, on le dirait volé. Le point d’orgue, je l’ai vécu au cours de mon entretien avec Martin Jauvat. De la difficulté à trouver la bonne plage à l’aspect lunaire (et solaire) des conditions d’interview, tout était finalement romanesque, presque lyrique. Le son de la houle (pas un tsunami), les rayons d’or qui brisent le bleu du ciel, un échange gravement léger. Ou bien légèrement grave. Un nouveau moment suspendu, volé. Et à la fin, les sourires de celles et ceux qui nous entourent, habité-es par la même passion et vibrant au rythme de Sirât, chancelant-es comme la roche du désert. Puis être réveillé par la lumière, et voir autour de soi, des tsounami-es. » – Sacha Maunoury

« Je n’ai pas vraiment de souvenir marquant d’un point de vue cinématographique vu la pauvreté des films que j’ai choisi de visionner et qui m’ont déçu. Ce qui marquera cette édition comparée aux précédentes, c’est le fait de construire petit à petit toute une histoire cannoise avec les membres de la rédaction : réfléchir chaque jour, repérer les phrases, les situations, les chiens, les chansons pour offrir une gazette meilleure que la précédente chaque jour et, malgré tout, être fiè.re.s. » – Nikita Eiden

« Quand, avec Nicolas, on est monté Terrasse Unifrance. Sentiment de malaise, pas à ma place, l’impression de dénoter. Il y a Léa Drucker, des interviews de la radio, des journalistes bien équipés – pas comme nous. On nous dit qu’il arrive bientôt, on nous propose un thé glacé. On attend à côté, on réécrit nos questions au propre même si, très vite, la feuille devient aussi bordélique que nous. On fait des essais micros, on est pas sûr de nos manips. Puis il arrive, calme, tranquille. Il est à l’aise, il nous met à l’aise. J’ai l’impression de retrouver un copain d’enfance. Entre nous, sur la table, il y’a les films qu’il a fait, l’échange qui se crée. À côté, dans les yeux de Nicolas, la Johana du présent. Devant moi, dans ses lunettes fumées, Christophe Honoré, presque comme si c’était mon passé, ses films entrelacé à mon cœur d’artichaut, à ma cinéphilie, à la Johana rêveuse, amoureuse. Il parle de sexe, de secrets que gardent les films, de tabous et transgression. Je sens mon cœur s’emballer. Je sens que je suis là où je dois être, ça me plaît. Puis c’est fini, on se dit au revoir. Dans ma tête, je le remercie de nous avoir offert ce moment, de cinéma avec lui, d’amitié avec Nicolas. On sort. Je propose à Nicolas qu’on se fasse un câlin : faut marquer le coup. On marche, le temps est ensoleillé, on entend les mouettes chanter, on va voir des films. » – Johana Fargeon

« Je crois que c’est à Cannes que le cinéma devient du rêve pour de vrai. La fatigue mélange les images aux pensées, le sommeil s’en mêle et les petits biscuits qu’on grignote par miettes ne suffisent pas à contrecarrer le mouvement descendant des paupières. On rêve le film autant qu’il se déroule à quelques mètres de nous, le son enveloppe et les images sombres somnolent. Suis-je bien sûr d’avoir vu tous ces films ? » – Grégoire Benoist-Grandmaison

Jaloux à mon tour, je réponds à la même question : « Abandonner le mémoire sur lequel je bosse pour consacrer près de trois semaines au Festival de Cannes en comptant les préparations en amont. L’expulser de ma tête pour la remplir d’images nouvelles. Une première, un peu floue certes : sheitan en soirée au tempérament acide comme cette sélection qui nous accueille, on crie partout et hurle à la joie, ce bonheur fragile qui consiste à être ensemble au bout de la nuit, le travail fini et les yeux encore ouverts. Presque la liberté. Sortir de la soirée et courir, faire tomber une barrière et rire encore. Courir jusqu’au taxi et faire des blagues, rire, les rater, rire encore plus, les confondre, rire à en pleurer. Quelques jours plus tard, Alpha, un film qui ne m’intéressait guère et que je découvre particulièrement fatigué, me fera l’office d’une déflagration. Le film est malaimable, il engage enfin le devenir-bis auquel aspire depuis le début le cinéma de Ducournau, embourbé dans le luxe des budgets auxquels elle peut prétendre. Peut-être une mauvaise idée, oui. Mais cela lui donne le droit de jouer Let it happen de Tame Impala, et mal. La musique cesse rapidement, tandis qu’Alpha, enfant qui a grandi trop vite dans un corps resté enfant, enchaîne les soirées, les verres et les erreurs. Elle sort, dissociation du corps et de l’esprit, et le drop arrive comme une fausse note. Elle court dans les rues, il ne lui reste plus que ça. Il me faudra attendre la fin du Festival pour comprendre cette brûlante émotion qui s’est emparée de mes entrailles : Alpha, mon équipe en soirée et moi sommes toustes des enfants des Safdie, ces frères new yorkais qui m’appellent à revenir à la réalité et en finir avec ce foutu devoir d’école… »

C’est pour nous la fin (enfin) de ce Festival de Cannes. Je remercie en mon nom toute l’équipe de Tsounami qui a participé, lu, relu et soutenu cette ambitieuse couverture médiatique que nous avons mis en place. Et au nom de la rédaction, toutes les personnes qui nous ont lu et accompagnées durant ce Festival. C’est bien ça le plus important : créer du lien, avec les films, et tous les humains qui les entourent.