Gloubiboulga pornographique

Critique  | Eddington d’Ari Aster, 2025  | Compétition

Eddington commence sous les auspices d’un réel simple, celui d’une bourgade américaine éponyme en plein Covid où l’essentiel des conflits se concentrent autour d’un masque qu’on porte ou ne porte pas. Comme souvent chez Ari Aster, tout ça ne suffit pas. Il faut donc affubler le shérif d’un Joaquin Phoenix agard, qui n’a même pas le mérite de restreindre la palette de son jeu à quelques tics – comme dans Joker – mais qui au contraire redouble d’effort, couine, roule des yeux, affirme son autorité, s’infantilise ou s’imagine grand stratège – on pense sur ce point à toute la partie après le meurtre du maire. Pour donner au personnage une épaisseur qu’il n’a pas, l’acteur pioche dans un méli-mélo de visages à l’image de toutes les thématiques qu’abordent le film peu à peu, au détriment du conflit initial pourtant fécond : la bataille pour les masques sur fond de bataille pour la construction d’un data center high-tech. 

Inutile de faire la liste des pistes narratives aux enjeux actuels tant elles sont nombreuses, exhaustives, et donc survolées, n’agissant plus que comme des signifiants : racisme, violences sexuelles, dérives sectaires, écologie, violences policières, complotisme, tout y passe.  Là où The Sweet East traversait différentes facettes de l’Amérique en suivant le parcours de son héroïne et en prenant à chaque arrêt un peu de temps pour ses personnages, Ari Aster empile tout au même endroit, à Eddington, avec l’espoir secret que ce gloubiboulga pornographique fasse reflet contemporain. On se demande bien quel peut être l’apport de la fiction par rapport au documentaire pour explorer les rapports de force à l’œuvre lors d’une élection municipale américaine dans les années 2020, tant la précision d’Elizabethtown d’Aubert Edler fait rougir de honte le travail d’Ari Aster. Ici, l’imaginaire américain s’auto-phagocyte et se répond à lui-même, étranger aux causes qu’il dépeint, aux problématiques profondes qui habitent l’affrontement entre deux camps – libéraux et conservateurs. Les personnages crient des tweets et le village finit par devenir une métaphore foireuse des réseaux sociaux. 

Eddington est un film fouilli et chaotique, très bien organisé en trois actes, dont seul le premier laissait présager une inflexion dans le cinéma symbolique et psychologisant d’Ari Aster. La figure de la mère castratrice ne cesse de revenir de film en film et, à l’image du reste, n’est plus là pour donner de l’épaisseur mais plutôt pour signifier – signer – Ari Aster. Après la cacophonie du second acte et l’obscurité enveloppante du dernier, qui reprend à son compte le jeu vidéo de guerre – encore un signifiant actuel -, il ne reste de la vraie vie finalement plus grand-chose, et ce qui est proposé à la place n’est pas pour autant très intéressant. 

Eddington d’Ari Aster, prochainement en salles