Midnight in le terroir français

Critique | La venue de l’avenir de Cédric Klapisch | Hors compétition

« Je me suis faite draguer par Victor Hugo ! » beugle Julia Piaton. En fuite du monde moderne, le nouveau film de Cédric Klapisch se fourvoie dans l’ancien. Cette juxtaposition découvre à nos yeux un monde que le réalisateur ne reconnaît plus. Le passé idéalisé comme refuge et moteur d’un présent meilleur échoue et en engendre un autre : celui de la connerie. 

Attention, peinture fraîche

Rencontre d’un avant woody allenien mêlé d’un patriotisme acerbe, dès son générique, La venue de l’avenir nous fout le nez dans sa toile de fond littérale : les Nymphéas de Claude Monet. Retraçant le monde parisien d’alors, le film pompe son suc depuis un imaginaire rose-bonbon où ses rôles-titres côtoient tantôt des bateaux à vapeur lustrés, des rues parisiennes impeccables et un quotidien tout droit sorti d’une rom-com. Nous suivons simultanément deux intrigues, celle d’Adèle (Suzanne Lindon), jeune campagnarde appartenant au début du XXe siècle, et celle de ses descendants, un groupe de cousins de l’époque suivante, rassemblés par la vente d’une maison de famille dont on ignore l’histoire. Seb (Abraham Walper) en ado-moderne dépressif, Célia (Julia Piaton) en workaholic, Abdel (Zinedine Soualem) en professeur de français et Guy (Vincent Macaigne) en apiculteur boomer, donneur de leçons, y trouvent des photos d’Adèle, de sa mère et de ses enfants, ouvrant ainsi le scénario sur une enquête généalogique, en même temps qu’à des parallèles temporels grossiers dont la sève s’explicite dans la bouche de Seb, (attention, spoiler !!) descendant de Claude Monet : « Parce que je regarde toujours devant et ça m’a fait du bien de regarder derrière. » L’ultime graal se matérialisant par l’identification d’un portrait accroché aux murs de la maison dont les coups de pinceau trop reconnaissables ne laissent place à aucune méprise… Mais voilà, nous sommes embarqués dans une pseudo comptine nostalgique pour les uns, sentencieuse pour les autres et d’un mauvais goût existentiel absolu : Klapisch dit c’était mieux avant et se console dans une fabulation minable qu’est La venue de l’avenir

Retour vers les clichés

Les yeux perdus dans les nénuphars donc, les spectateurs se heurtent aux allures d’une jeune influenceuse réclamant qu’on déteigne les toiles du maître pour ne pas concurrencer le jaune de sa robe. La pauvreté linéaire de ses dialogues et conjointement de ses intrigues fait aussitôt transiter l’idée, sur papier hypothétiquement subversive, en un pastiche lisible. Cette dynamique fixe l’ensemble du film et, en réponse, donne le beau rôle à Seb. En bon copain, il ne lui fait aucun reproche ; le scénario s’en charge en lui offrant une rédemption après son refus de vendre la maison familiale pour un parking d’hypermarché et du même coup, lui permet de se découvrir une âme d’aventurier dans le déballage de la si charmante vie d’Adèle. A son époque, l’intéressée monte chercher sa mère (Sara Giraudeau) à Paris et rencontre sur le chemin depuis la Normandie deux artistes simples Anatole (Paul Kircher) et Lucien (Vassili Schneider), l’un peintre, l’autre photographe. Les parallèles disruptifs d’une époque à l’autre se font par coups de rappel inquisiteurs de la période moderne : depuis sa calèche vers Paris, l’instant est coupé par l’arrivée en gare d’un train SNCF. Une autre fois, de charmantes allures impressionnistes en balade à Paris laissent place à un jogger, musique cinglante au rendez-vous. Perpétuellement pensé sur cette juxtaposition de l’ancien et du moderne, du passé et du présent, le spectateur n’en retient que la mauvaise foi risible d’un bonhomme dépassé par sa propre époque, l’idéalisation de l’autre révélant le réel noeud morbide de cette entreprise. 

Mauvais pari

Une fois à Paris, Adèle retrouve sans mal sa mère : dans une maison close, son portrait est dépeint comme celui d’une fille romantique, déshabillée mais pas désabusée. De son côté, Adèle se réfugie chez les garçons  dont les regards inquisiteurs à son sujet sont non seulement enjolivés mais validés puisqu’elle finira par se prostituer avec l’un deux afin qu’il lui apprenne à écrire, une inertie encouragée par sa mère, elle-même aux prises d’un système : « prends ce qu’il y à a prendre ». Cette misogynie assumée se confirme également dans l’époque moderne, par effet de dialogue, dans le personnage de Guy. Voix du réalisateur quant aux régimes modernes de contraintes, le concerné veut pouvoir servir sa morale rétrograde dans les toilettes des femmes, quitte à disputer l’une d’entre elles au sujet de sa présence ! Une partie de la salle rigole, on sait laquelle. Suivant la trace du père, le film s’arrange à la chorégraphie d’une énième scène minable, soit, la reproduction du moment passionné de création d’impression sur soleil levant. Par là même, le spectateur comprend que Claude Monet est le père d’Adèle et donc la toile de la maison, de sa main. Comment se fait-il, dans ce cas, que la mère d’Adèle se soit si tristement prostituée ? Figurez-vous que c’est Claude Monet lui-même qui ne souhaitait plus l’entretenir. Une justification donnée en conscience à sa fille, au moment de lui tirer son portrait : « Connais-tu la différence entre l’amour et le désir ? ». La double trame complaisante soutenue par Seb et incarnée dans la figure du peintre, oblige Adèle, concédante, puisque abusée par cette même boucle et ainsi promise au même devenir de sa mère. Quel voyage dans le temps ! 

La venue de l’avenir de Cédric Klapisch, en salles le 22 mai