Voyage en Guinée-Bissau

Critique | Le Rire et le couteau de Pedro Pinho | Un Certain Regard

Grand film fleuve de plus de 3h30, Le Rire et le couteau suit les aventures d’un ingénieur environnemental en Guinée Bissau. Découpé en 4 parties plus ou moins distinctes, 2 sont consacrées à la relation qu’il entretient avec un groupe de locaux queer – particulièrement Diara et Gui – tandis que 2 autres suivent son travail de recherche pour statuer du bien-fondé du tracé de la nouvelle route – une dans le désert et une autre près des mangroves. Véritable odyssée, le film est au croisement du documentaire et de la fiction tant l’acteur Sérgio Coragem est immergé par Pedro Pinho dans les lieux qu’ils investissent par leur présence – dans les parties documentaire, c’est Sergio lui-même qui recueille les états d’âme des paysans et des villageois du coin quant à la construction de la nouvelle route. Le film mélange a cet égard les régimes d’image – 35mm pour le jour et numérique pour la nuit.

Difficile de rédiger une grande et belle critique définitive d’un film aussi dense et généreux vu dans le maelstrom cannois. Pedro Pinho alterne scènes de sexe, scènes de vie ouvrière, histoire d’amour, rapport à la colonisation et à la couleur du corps – Gui est vu comme un blanc pour les Guinéens et comme un noir par Pedro –, acteurs et actrices qui crient leur mal-être dans des scènes de boite de nuit ou de voyage en voiture… Suivre un blanc un peu taiseux évite l’écueil de l’appropriation du vécu en filmant un scénario écrit en Europe et plaqué sur la population locale, tout en permettant de suivre chaque problème rencontré avec un regard extérieur propice à l’écoute. Protéiforme moins dans sa forme que par la variété des situations qu’il présente, Le Rire et le couteau marque aussi par son approche incisive et amorale – la scène de sexe avec la prostituée, celle sur la route où ils roulent sur quelqu’un en prétextant un guet-apens, l’ONG et les lattrines… Chaque esquisse d’intrigue est balayée du revers de la main par l’impératif premier du film : filmer la Guinée-Bissau.

Le Rire et le couteau s’impose déjà, à cheval entre une action sédentaire et un héros en perpétuel déplacement, comme un grand film décolonial. Et nous y reviendrons plus tard.

Le Rire et le couteau de Pedro Pinho, le 9 juillet 2025 au cinéma