L’homme est un requin pour la femme

Critique | Dangerous Animals de Sean Byrne, 2025 | Quinzaine des Cinéastes

Un jeune couple part en excursion à la rencontre des dents de la mer, ces créatures fascinantes et redoutées ! Le rafiot de pêche métallique à bord duquel ils montent ne paie pas de mine ; le capitaine a un physique d’ours, barbu et trapu, plutôt accueillant quoiqu’inquiétant, il les met à l’aise – il chante « Baby Shark toudoudoutou » puis les encage et les submerge. De la même manière que les bruitages inquiétants à tendance jumpscare « TIN » accompagnent le recul de la caméra à coup de cut pour dévoiler l’immensité de l’océan, le bateau tout petit et les flots bleus infinis, les premiers plans sur les requins sont grossis et surfaits, leurs yeux globuleux saillent et la musique nous crie d’avoir peur. Bien sûr, l’évidence de la mise en scène ne cache pas un certain plaisir à détourner-accentuer les codes du genre pour créer surprise et décalage comique. Les requins, au bout de quelques secondes, deviennent des créatures majestueuses qui apaisent l’âme. À l’inverse, la bonhomie du capitaine s’efface à l’instant où il assène un coup de couteau au beau jeune homme, et ne laisse à sa tout aussi jeune et jolie amie que la possibilité de hurler. Dangerous Animals n’est donc un film de requin que pendant quelques minutes. Au moment où le titre apparaît et où toute l’affaire démarre, on l’a compris, le principal « animal dangereux », c’est l’homme. Dans ce film, il s’appelle Tucker.

De ce point de départ le reste du film ne s’éloignera que peu. Après cette introduction sanglante et ce couple qu’on nous reverra plus, l’intrigue suit les aventures de Zephyr, nouvelle jeune femme à se faire enlever, nouvelle victime de l’ogre des mers. Tandis qu’elle tente de survivre et de s’échapper tout au long du film, Tucker continue d’être l’animal dangereux qu’il était au début. On lui découvre néanmoins une passion pour la danse et la picole dans une scène grotesque censée attester de la folie du personnage ; une passion pour le cinéma avec tout un dispositif que les plus grands cinéastes de snuff movie ne renierait pas ; une passion pour la collection de cheveux et des cassettes vidéo de ses victimes mangées par les requins – sans doute son côté serial killer ; enfin une passion pour discourir longuement sur son traumatisme d’enfance, sur la vie aquatique, sur le parallèle entre lui et les requins, sur le parallèle entre lui et Zephyr, deux être malmenés par la vie. C’est peut-être là que le film trouve sa limite : un principe de dualité symbolique assez simpliste l’irrigue. La cicatrice du gros méchant fait écho à celle du grand requin blanc que la jeune femme rencontre. Bien sûr le sexe masculin s’oppose au sexe féminin, mais aussi la jeune héroïne farouche a un cœur d’artichaut qu’elle se refuse à laisser parler. Les figures du forain abîmé et du gros psychopathe s’opposent assez aisément au jeune premier de la classe que rencontre Zephyr avant de se faire kidnapper et dont elle tombe sous le charme. Et puis finalement les grands requins blancs sont des poissons doués d’un sens moral certain, tandis que l’Australie s’avère une terre aussi belle que cruelle !

Reste que la mécanique du survival au cœur du film est tout à fait jouissive. La victime commence par utiliser l’armature en métal de son soutien-gorge pour crocheter ses menottes, et on termine par s’arracher le pouce avec les dents – cette auto-morsure accentue encore le parallèle avec les requins (ils mordent) – pour s’en extraire. On utilise des feux de détresse, on réussit à atteindre la plage sans réussir à alerter les personnes présentes, on se fait sauver par son amoureux pour au final devoir le sauver pour au final le voir mourir sous ses yeux… La foisonnance et l’inventivité des rebondissements font de ce survival un très bon survival – le répit n’est accordé que quelques secondes avant le générique. Finalement, c’est dans l’épuisement ad nauseam des solutions que trouve l’héroïne pour grappiller quelques minutes de vie que Dangerous Animals dévoile le cœur de son projet : les femmes ont peut-être bien raison de redouter les hommes plus que les ours en forêt. C’est aussi le cas au milieu de l’océan.

Dangerous Animals de Sean Byrne, prochainement en salles