Critique | Le Mystérieux Regard du flamand rose de Diego Céspedes, 2025 | Un certain Regard (SO)
« Ce film parle de famille choisie, de notre besoin d’amour et de tendresse ». Premier long-métrage de Diego Céspedes – le cinéaste était déjà passé par Cannes en 2018 avec le très remarqué El verano del leon eléctrico et avait remporté le prix de la Cinéfondation – Le Mystérieux Regard du flamand rose c’est avant tout l’histoire d’une famille sans limite, sans rebord, une matrice d’amour et de protection. Au début des années 1980, dans un petit village poussiéreux du Chili, un groupe de travestis performent chaque soir sur une scène à deux sous des numéros de cabaret. En star parmi les stars, Flamand rose (interprétée par Matias Catalan), reine du lipsync, chante les divas hispanophones sous le regard attendri de Lidia (Tamara Cortés), 11 ans, sa fille d’adoption. Un récit acidulé teinté de mélancolie et sur fond de crise du sida, célébrant avant tout la sororité et l’amour comme bouclier contre la violence des agresseurs et celle d’une société en proie à l’invisibilisation.
Après le générique, une longue séquence tournée en pellicule filme le village avant de s’arrêter sur un volcan en éruption : la lave, rouge sang (un mauvais sang ?), fourmille lentement mais sulfureusement entre les dunes avant d’atteindre le cœur de la Terre. La famille de travestis, Flamenco et ses paires (elles ont toutes un nom d’animal assigné par leur mère de substitution « Mama Boa » et en accord avec leur personnalité), la rencontre du feu et du soleil. Harcelées, sans cesse traitées de pestiférées et marginalisées par leur refus de s’assigner à un genre, à des codes, à une identité fixe, elles vivent ensemble. Une communauté autarcique de sœurs. Parmi elles, Lidia, regard fumé, jean et t-shirt, traîne entre les plumes et les faux cils. On ne sait pas vraiment d’où elle vient, mais on sait qu’elle est à sa place. Le film fait se rencontrer sur le territoire chilien le cinéma d’Almodovar et la Casa Susanna de Sébastien Lifshitz, espace aride et hostile à la différence. Mais les travestis ne laissent pas faire – victimes ? Elles ne le sont pas – et le spectacle devient alors l’expression d’une métamorphose comme totale réappropriation d’un corps, d’une présence parmi (avec ?) les autres.
Mais comme un drame doit arriver (on regrette le didactisme narratif), un meutre, celui de Flamand Rose par son ex-amant tombé fou d’amour pour elle – un « crime passionnel » auraient clamé les années 1980 ou des films de la trempe d’Emilia Perez… Puis le deuil face à cette irréversibilité, les questions sans réponse et surtout, l’envie de vengeance. Faire corps avec la violence quand il n’y a ni justice ni réparation, quand tout s’effondre autour de soi : Lidia, qui a la vie devant elle, cohabite avec les croûtes brunâtres sur la peau des membres de sa famille de cœur, l’incessant besoin de déféquer et les crachats de sang. Le sida comme membre subsidiaire de la famille de travestis, celui qui force aussi à parler, poser des questions, enquêter.
Si Le Mystérieux Regard du flamand rose séduit par sa fraîcheur, son traitement n’en demeure pas moins inégal et son symbolise parfois grossier. Ainsi, la scène flashback de rencontre entre Flamenco et celui qui deviendra son meurtrier bascule dans une esthétique pseudo-fantastique bon marché : cette dernière danse alors que des taches lumineuses blanches coulent de ses yeux vers celui qu’elle a choisi pour amant. Le mystérieux regard, donc, de ce flamand rose aux énergies visiblement mystiques… De même, la multiplicité de sous-récit, résonnant sans doute avec l’envie de bâtir une mosaïque (là encore, on convoque Almodovar), manque de précision et perd parfois le spectateur dans des dialogues trop explicatifs. En somme, mystérieux, le film l’est sans doute, mais pas nécessairement au bon endroit.
Le Mystérieux Regard du flamand rose de Diego Céspedes, prochainement en salles